Après le tollé général déclenché par le projet de loi sur l'information dans sa mouture initiale, le gouvernement tente désespérément de rassurer. Et c'est le Premier ministre en personne, Ahmed Ouyahia, qui «déjuge» son ministre de la Communication en affirmant que le projet de loi sur l'information «ne comporte aucune disposition privative de libertés». Il a déclaré, hier, en marge de l'ouverture de la session d'automne du Parlement qu'«il n'y a plus de dispositions privatives de libertés et que pour la première fois, nous aurons une législation qui parlera de l'ouverture des médias lourds». Le Premier ministre a également déclaré que, désormais, «l'agrément de la presse écrite ne relèvera plus ni de la justice ni de l'administration mais de l'autorité supérieure de la presse écrite». En somme, Ouyahia exprime-t-il ainsi une réelle volonté d'ouvrir le champ médiatique ou s'agit-il simplement d'un nouvel effet d'annonce sans lendemain, ayant un objectif purement politicien ? Souvent floués par des promesses non tenues, les journalistes disent ne pas accorder un chèque en blanc à l'Exécutif. Chat échaudé craint l'eau froide. Journaliste au quotidien arabophone El Khabar, Hamid Yacine déplore «un double discours de l'Exécutif». «Le gouvernement veut se soustraire au projet de loi comportant des peines d'emprisonnement élaboré par son ministre de la Communication. On s'attendait à une loi qui traduit les revendications de la corporation, mais on a eu droit à un projet de loi avec une batterie de sanctions pénales», a estimé le journaliste. Il estime que la sortie d'Ouyahia «ne convainc personne», avant de critiquer sévèrement l'avant-projet de loi présenté par le ministre de la Communication, Nacer Mehel. «Ce projet, non seulement il est d'une médiocrité au niveau de son élaboration, mais il ne répond pas aux promesses de réformes, comme il ne traduit pas les revendications des journalistes quant à la dépénalisation du délit de presse. Le gouvernement dit avoir levé les peines d'emprisonnement, mais il garde des amendes fortes qui pèsent lourdement sur le journaliste», dénonce Hamid Yacine. Ce sentiment traduit l'irrémédiable méfiance qui caractérise la relation presse-pouvoir. De son côté, le rédacteur en chef du quotidien Liberté, Amer Ouali se veut optimiste mais non sans cacher son scepticisme. «Je considère que c'est une avancée considérable de confier la décision de donner des agréments pour de nouveaux journaux à une instance composée de professionnels, et la soustraire ainsi à l'arbitraire de l'administration. A priori c'est positif, cependant cela reste que des discours, il faut attendre les faits pour mieux juger», a-t-il estimé. Visiblement, la crédibilité de la parole du gouvernement est sérieusement entamée. Pas si facile de croire un gouvernement qui a souvent affiché clairement son aversion pour la liberté d'expression au mépris même de ses propres lois. Kamel Amarni, secrétaire général du SNJ, lui, dit ne pas se faire trop d'illusions. «En réalité, ce n'est pas la justice qui délivre l'agrément pour la création d'un journal. Cela a été toujours une affaire qui relevait de la présidence de la République et des services de sécurité. C'est une loi non écrite», témoigne-t-il. Maître de conférences à l'université d'Alger et ancien journaliste, Redouane Boudjemaâ considère que le projet de loi «marque la fermeture du champ médiatique». Pour lui, dire que «l'agrément des journaux dépendra de l'autorité supérieure de la presse écrite ne veut absolument pas dire que la presse s'émancipe du contrôle de l'Exécutif. Car, trois membres de cette instance, dont le président, sont nommés directement par le président de la République et elle (l'autorité) remet un bilan annuel au chef de l'Etat. On est pas sorti du contrôle de l'Exécutif», argue-t-il. S'agissant de l'ouverture de l'audiovisuel, M. Boudjemaâ rappelle que cette loi «était inscrite dans la loi de 1990, et dire que pour la première fois, nous aurons une législation qui parlera de l'ouverture des médias lourds comme le dit Ouyahia, c'est prendre les Algériens pour des amnésiques». Au demeurant, «Ouyahia se trompe. Il essaie de faire oublier aux Algériens et à la famille de la presse qu'il est l'initiateur du fameux code pénal qui criminalise le délit de presse en 2001 lorsqu'il était ministre de la Justice», conclut Redouane Boudjemaâ.