A 56 ans, l'humoriste Mohamed Fellag est plus prolifique que jamais. Il mène une carrière de littérature tranquille et se fraie une place importante dans le cinéma en qualité de comédien et de scénariste. Installé en France depuis une dizaine d'années, il est revenu cette semaine en Algérie pour assurer la promotion de son dernier produit Le Dernier Chameau. Quelles sont les raisons de votre présence en Algérie ? Je suis ici dans le cadre de la promotion de mes produits audiovisuels qui sont produits par les éditions Izem pro. C'est la première fois que j'ai trouvé quelqu'un de sérieux, qui a une vision intelligente et moderne de la production et de la distribution d'un artiste. Jusque-là, nous avions à faire à la piraterie et à la contrefaçon. Le pirate donne non seulement un mauvais produit, mais il dévalorise les artistes sur lesquels la mauvaise qualité retombe. Dans certains DVD, il y a 10 minutes de spectacle, parfois ils sont vides. Tous mes produits ont fait l'objet de piratage et cette fois-ci j'ai trouvé quelqu'un qui réalise un bon travail. Je suis également revenu pour revoir ma famille et mes amis. Après 10 ans d'absence, qu'est-ce qui vous a frappé en rentrant en Algérie ? Ah non, depuis cinq ans, je viens régulièrement passer des vacances, je reste dans mon pays 10 à 15 jours et je repars. Ce n'est pas la première fois que je viens. A quand remonte votre dernier spectacle en Algérie ? La dernière production remonte à 1991 et la dernière fois que j'ai joué ici, c'était en 1993. J'avais présenté Babor L'Australie à trois reprises au théâtre de Béjaïa en hommage à Tahar Djaout et en soutien à sa famille. Ensuite, avec les problèmes de sécurité qu'a connus l'Algérie, j'ai dû partir comme la plupart des gens qui devaient partir. Des milliers d'Algériens sont partis à cause de la déstabilisation totale de l'Algérie. Je suis parti en 1993 et depuis 3 ou 4 ans, je reviens régulièrement. Des projets de spectacles en Algérie ? Non, il n'y a pas de spectacles en perspective ici, car j'ai énormément de travail là-bas. J'ai des tournées quasiment ininterrompues qui ne me laissent pas malheureusement pour le moment l'opportunité de trouver des moments pour me produire en Algérie. Le fait de vivre en France ne vous coupe-t-il pas des réalités sociales algériennes dont vous vous inspirez pour monter vos spectacles ? Les événements politiques de la décennie tragique m'ont coupé de cette réalité. Ce n'est pas moi qui ai coupé avec l'Algérie. C'est l'Algérie qui a coupé avec moi, comme elle l'a fait pour des dizaines de milliers d'autres. Je suis un artiste et comme tous les artistes du monde, à chaque fois qu'il y a des problèmes politiques graves qui arrivent, à chaque fois que la situation sociologique et politique fait qu'on ne peut pas trouver du travail et un équilibre, eh bien, l'être par nature s'en va. Il part là où il trouve de quoi manger. Et comme tous les artistes, je suis parti. Aujourd'hui, j'en souffre et j'en ai souffert. La matière du pays me manque énormément. Mais, je suis un artiste, avec mon imagination, je peux travailler sur la mémoire, le souvenir. On ne travaille pas que sur l'actualité. Dans votre dernier produit Le Dernier chameau, vous ne parlez qu'en français. Ne craignez-vous pas que des jeunes algériens ne puissent pas vous comprendre ? Je crois que la situation est contraire à ce que vous dites. D'abord, je vis en France depuis 10 ans, donc j'ai adapté mon travail à la société française. Le Dernier Chameau est un spectacle écrit en France où il y a 2 millions d'Algériens qui parlent en français, qui ont besoin qu'on leur raconte une histoire, celle de leur pays, de leur mémoire, de leur histoire avec la fantaisie, la folie et l'humour du pays. Moi, je ne peux pas être là-bas et ici. Si on est en France, on doit travailler pour tout le monde. C'est une chance pour nous que des Français viennent nous écouter. Pour moi, c'est une façon de porter ailleurs notre sensibilité. On ne peut pas jouer en kabyle en France, sinon je ne pourrais pas travailler ; en plus, ça peut-être vu comme sectaire, c'est-à-dire que je ne voudrais pas que les autres m'écoutent. La première langue de France étant le français, j'ai été amené à travailler en français. C'est une langue qui regroupe tout le monde et qui est comprise ici aussi parce que l'Algérie est considérée comme le deuxième pays francophone au monde, même si elle n'est pas dans la francophonie. Des millions d'exemplaires de Babor l'Australie en version française ont été vendus ici. La dernière production est en français et ça marche aussi bien en Algérie. Fellag a-t-il des projets pour le cinéma ? J'ai plein de projets. A partir d'avril, je suis sur un film que j'ai entièrement écrit moi-même, tiré de mon propre roman Rue des petites daurades qui va être tourné à partir de janvier 2007, et dont l'histoire se passe à Paris. Je tourne aussi dans deux autres films, l'un en avril, l'autre en juillet prochains. Est-ce que ça vous gêne qu'on vous qualifie de clown ? Non, ça ne me gêne pas. Les sociétés font des mots ce qu'elles veulent. Dans un contexte social défini, le mot clown pourrait avoir un sens péjoratif, comme il peut être noble dans un autre contexte. Cela dépend de la charge culturelle et émotive que la société met au mot, c'est ça qui lui donne la valeur ou pas. Pour moi, le mot clown a beaucoup de valeur. Me qualifier de clown ne me gêne pas du tout, au contraire. Fellag écrit des romans aussi. Est-ce l'humoriste qui décroche ? Non, pas du tout. Mon premier roman a été écrit en 2000 et je continue à jouer. Ce sont deux métiers complémentaires. C'est la façon de faire qui diffère. Le cinéma, le théâtre et l'écriture sont des cousins. Si on a le temps, du talent et des moyens, on peut tout faire. On peut réellement mener les trois ou quatre choses de front. Ce sont des choses qui se complètent. Que diriez-vous comme conclusion ? C'est la première interview que je fais de vive voix en Algérie depuis 12 ans et je suis heureux et ému de faire ça. Cela restera un beau souvenir d'un vrai retour au pays.