Les Pakistanais, peuple qui, après les Algériens, a payé le plus lourd tribut au terrorisme, commémorent le dixième anniversaire du 11 septembre dans une ambiance teintée de morosité et d'incertitudes. Sans l'aide conséquente des Américains, l'économie du pays risque de s'effondrer. Islamabad (Pakistan). De notre Envoyée spéciale
Irshad est excédé. C'est la quatrième fois ce soir qu'il s'arrête à une station d'essence pour faire le plein et s'entend répondre que les pompes sont à sec. Depuis quelques semaines, le gouvernement de Syed Youssuf Raza Gilani rationalise l'approvisionnement des fournisseurs en carburant (essence, gasoil et gaz). Tout au long de l'autoroute reliant Lahore à Islamabad, de longues files de véhicules se forment devant les distributeurs. De retour du long pont des festivités de l'Aïd El Fitr, les familles pakistanaises voient dans cette pénurie en fuel un mauvais présage. «Les autorités ont mal géré la manne des aides américaines, et maintenant que la Maison-Blanche se montre plus avare, c'est nous qui payons les conséquences de cette austérité», nous explique le conducteur de taxi, père de trois enfants. Face à la diminution subite de ses ressources financières, le gouvernement a décidé de revoir à la baisse ses dépenses internes, dont celles destinées à la consommation d'énergie. Le Pakistan importe des hydrocarbures des pays du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Emirats arabes unis...) et de l'Iran. Même l'électricité vient à manquer dans la capitale, les coupures sont quotidiennes. Les jeunes Pakistanais, qui appréhendent l'avenir, ne peuvent même pas rêver d'un ailleurs plus clément. Les ambassades occidentales ne leur délivrent pas de visas. Yasir et ses amis, si fiers de leur nationalité, en éprouvent un fort sentiment d'injustice. «J'ai été retenu lors d'un concours pour le poste de chef cuisinier dans un grand hôtel aux Bermudes, mais j'ai perdu cette grande opportunité, car le visa m'a été refusé», déplore le jeune cuisinier. Après la mort de Ben Laden survenue sur le territoire pakistanais, la situation de ce pays s'est encore compliquée. D'allié fidèle soutenu et choyé, il est devenu, aux yeux des Américains, un partenaire duquel il faut se méfier, au grand plaisir de son voisin, frère ennemi, l'Inde. Pourtant, le Pakistan a payé un prix exorbitant à cause de sa loyauté envers la Maison-Blanche et pour avoir concédé l'usage de son territoire aux forces américaines employées dans une guerre surréaliste en Afghanistan. En moins de dix ans, plus de 35 000 Pakistanais, dont 11 000 civils, ont trouvé la mort dans des attaques terroristes. Le général Talat Masood, aujourd'hui à la retraite, est très écouté, au Pakistan comme à l'étranger, pour ses analyses des questions stratégiques. Il est très critique envers le gouvernement qu'il qualifie de «faible et désemparé». Dans l'entretien qu'il nous a accordé, à Islamabad, il dresse le bilan de l'après-11 septembre. «Il y a eu des changements dramatiques au Pakistan. D'abord, l'extrémisme s'est intensifié et la violence a augmenté. La dictature a été renforcée, car les USA et l'Occident ont soutenu le régime militaire du général Pervez Musharraf. Notre pays, aux côtés de l'Afghanistan, a subi les plus lourdes conséquences du 11 septembre. Notre économie a été frappée de plein fouet et les structures sociales tribales ont été détruites, laissant un grand vide que les intégristes tentent de combler.» Les talibans dans leur guerre déclarée aux autorités fauchent des dizaines de vies innocentes chaque mois. Même les plus pratiquants parmi les Pakistanais ne cachent plus leur ressentiment envers les adeptes du mollah Omar. A la mosquée Masjid Faisal d'Islamabad, les visiteurs, venus de toutes les régions du Pakistan, sont plus préoccupés par la hausse du prix du sucre que par le terrorisme. Financé par le roi saoudien, Faysal, et conçu par l'architecte turc Vidat Dolkay, le lieu de culte peut accueillir jusqu'à 300 000 fidèles. Ses quatre minarets de 80 mètres sont les plus hauts d'Asie et font de cette mosquée la quatrième au monde. Ali, 35 ans, entrepreneur, vient de Karachi, la capitale économique du pays avec ses 18 millions d'habitants. La criminalité et les affrontements armés entre clans ont fait, en moins de six mois, plus de 1000 morts. «Qu'Allah protège notre pays déchiré par la criminalité et le terrorisme», invoque-t-il en levant les mains au ciel. Ali se recueille ensuite sur la tombe du général Muhammad Zia ul Haq, qui avait présidé aux destinées du pays pendant une décennie avant de périr en 1988 dans un accident d'avion, dont les circonstances n'ont jamais été élucidées. Une gerbe de fleurs desséchées est déposée sur le sarcophage du général. Des sourates sur le martyr sont gravées sur les murs du mausolée. Zia ul Haq était arrivé au pouvoir après avoir fait exécuter, en 1977, le Premier ministre de l'époque, Zulfiqar Ali Bhutto, père de Benazir Bhutto, elle aussi assassinée en 2007. L'histoire politique du Pakistan est jalonnée d'événements sanglants, d'intrigues de palais tragiques, dont les auteurs sont les hommes et les femmes politiques issus des dynasties influentes du Pakistan qui se disputent, jusqu'à nos jours, le pouvoir dans «le pays des purs». Outre, la colère des chefs du Tehrik e taliban Pakistan (TTP), une autre menace pèse sur le pays. La roupie a connu son niveau le plus bas, ces derniers mois, et l'inflation, à deux chiffres, risque d'atteindre un seuil critique. Le gouvernement, privé d'une partie des financements américains à l'investissement, d'une part, et confronté à la hausse du prix du pétrole, d'autre part, ne sait plus où trouver les milliards manquant pour réduire le déficit entre ses dépenses et ses recettes. Selon le général Talat Masood, il faudra «une révolution comme celle arabe pour faire pression sur le gouvernement et améliorer sa gestion des affaires du pays pour restaurer la justice et soigner tous les maux de la société».