Loin des murs calfeutrés des salons de réception officiels, des douars éparpillés ici et là à travers les 36 communes de la wilaya de Aïn Defla offrent encore aujourd'hui un visage hideux aux visiteurs, particulièrement ceux situés en zone enclavée où le temps semble s'être arrêté et la population figée dans ses élans. Les citoyens sont certes las d'un combat silencieux, déséquilibré, mais cependant déterminés à faire entendre leur voix. C'est ainsi que l'année 2005 à Aïn Defla a été marquée par plusieurs mouvements de protestation.Des tentatives sporadiques pour attirer l'attention des pouvoirs publics simplement, comme le souligneront nos interlocuteurs. Plus question, dira ce jeune, de rester passif devant le sort réservé aux plus démunis comme une fatalité sertie de misère à l'origine de profonds malaises. Ainsi, de Aïn Torki (nord de la wilaya) en passant par Djendel (sud-est), Djelida, El Attaf et les douars d'El Maïne, Tiberkkanine, Belaâs (ouest de Aïn Defla), des citoyens ont dit non à la marginalisation et à l'exclusion qui les renvoient à des années en arrière. Ces étincelles jaillies ont traduit le ras-le-bol de ces jeunes dont les principales revendications étaient et sont : l'emploi et de meilleures conditions de vie, mais également l'instauration d'un dialogue avec les représentants de l'Etat, à commencer par les élus locaux. Des citoyens ajoutèrent : « En dépit des dispositifs installés pour la résorption du chômage, notamment dans le cadre des programmes de relance économique, une large frange de la population continue à vivre dans la précarité en qualité de chômeurs ou pris en charge dans le cadre du filet social et du préemploi. » Et fait, des catégories sociales en proie aux difficultés économiques, en situation permanente à la recherche d'un emploi stable difficile à décrocher dans un climat où il est fortement recommandé d'avoir les épaules suffisamment larges, ajouteront nos interlocuteurs. Bref, pour cela si les murs s'élèvent dans le cadre de la promotion du logement, si des tapis de goudron se déroulent, si l'eau coule dans certains quartiers, cela se fait encore de façon irrégulière, voire maladroite. Oued Djemaâ ou la commune oubliée Des situations qui poussent les administrateurs à se débrouiller par leurs propres moyens. Ainsi, celui-ci déversera grossièrement du goudron devant sa porte ou dans sa ruelle pour camoufler un nid-de-poule. Un autre installera des semblants de canalisation sans tenir compte des normes. Une belle anarchie en définitive, dont beaucoup arrivent à s'accommoder, mais que d'autres tiennent à dénoncer, préoccupés par l'état de dégradation de l'environnement qui touche particulièrement les grands ensembles urbains. 31 décembre, l'après-midi, la commune de Oued Djemaâ, située sur le CW56 à 55km environ du sud- est de la wilaya de Aïn Defla, baigne dans une léthargie totale. En effet, les administrations (l'APC et la poste) ont fermé leur porte puisque le personnel a été mobilisé pour se rendre à Alger accueillir le président de la République à son retour de France, sans cela la commune abritant quelque 11 000 âmes, dont une forte propension issue de l'exode rural, se distingue déjà par un calme étrange, en raison de sa situation géographique au pied du djebel Louh, entre les wilayas de Tissemsilt et de Médéa, ancien fief des groupes armés activant entre Médéa, Tissemsilt, Chlef et Aïn Defla. En traversant quelques pâtés de maisons, dont plusieurs sont en toub, on ne peut que constater la désolation des lieux. Par ailleurs, la stèle érigée à la mémoire des martyrs et la pelouse qui l'entoure sont tout simplement abandonnées, la rouille sur le cadenas condamnant le portail en témoigne. En face du siège de l'APC, la salle polyvalente n'est qu'une structure sans âme fermée depuis des années, selon les riverains. Un coup d'œil à travers les fenêtres ouvertes nous fait découvrir une grande salle poussiéreuse, un support de télévision, et le silence. Une salle destinée au départ aux activités de jeunesse. Des jeunes livreront leurs impressions : « Nous souhaitons que cet espace s'ouvre de nouveau pour au moins nous rencontrer et pourquoi pas nous adonner à des activités utiles telles que la lecture ou l'initiation à l'informatique. Pour rappel, notre dernière visite dans cette région remonte à il y a 2 années, au moment où une émeute avait éclaté pour dénoncer la léthargie des pouvoirs publics et le droit à une prise en charge effective des préoccupations de la population de cette commune. » Selon les habitants, depuis cet incident, des changements ont certes été apportés, notamment l'amélioration des prestations des services au niveau de la poste et l'aménagement d'un terrain de football. Des mesures positives mais insuffisantes, poursuivront nos interlocuteurs. « Nous sommes abandonnés dans ces tombes mouvantes. » Ce fellah rencontré à proximité de l'APC résumera la situation à Oued Djemaâ par cette phrase prononcée dans la langue de Molière : « Nous sommes abandonnés ». Poursuivant, il fera remarquer : « Au moins dans les années 1970, on pouvait voir à l'entrée des domaines agricoles, des parterres fleuris, des espaces bien entretenus. Aujourd'hui, nous travaillons, mais le cœur n'y est pas » Au passage, il rappellera les années de sécheresse ayant frappé toute la wilaya et cette région où on y cultive surtout les céréales et la pomme de terre. Actuellement, poursuivra le fellah, l'alimentation en eau potable constitue un désagrément permanent pour la population. A ce propos, il avouera crûment : « Je pourrais vous offrir de la galette, mais je m'abstiendrais de vous donner de l'eau ». En effet, de nombreux habitants s'accorderont à dire que l'eau distribuée, à intervalle irrégulier et long, est de surcroît d'une couleur rougeâtre qui fait craindre le pire pour la santé des enfants en particulier, selon des pères de famille. « De plus, ironisent les habitants, nous recevons régulièrement les factures même ceux qui ne sont pas raccordés au réseau ». Cet habitant à titre d'exemple nous fera savoir qu'il s'approvisionne grâce à un puits. « Pourtant, dira-t-il, je reçois tout de même le document ». Améliorer le cadre de vie... Un autre habitant insistera surtout sur l'absence de douches dans cette commune : « On est obligé de se déplacer jusqu'à Khemis Miliana (25 km) pour prendre une douche ! » Quant à cet enseignant rencontré devant la mosquée, il qualifiera la commune de « tombes mouvantes ». Par ailleurs, des enseignants souligneront des insuffisances dans le secteur, à savoir l'approvisionnement des poêles à mazout rendant le déroulement des cours très pénible. Contacté le lendemain par téléphone, le P/APC révélera également le manque de transport scolaire, car un seul bus est mis à la disposition des élèves de cette commune. Oued Djemaâ, comme l'indique un tableau dans la brochure élaborée par le ministre-délégué chargée du développement rural (P102) est pourtant classée « commune attractive » en matière de migration. Cependant, diront ses habitants, tout en ce moment la rend répulsive. A commencer par l'habitat précaire accentué ces dernières années par l'exode des populations fuyant le terrorisme. Sur notre passage, des maisons en briques sans portes ni fenêtre, se dressent vides. Il s'agit de logements destinés aux familles victimes du terrorisme, mais leurs bénéficiaires refusent de les rejoindre, car les travaux de finition nécessitent beaucoup d'argent. En l'absence des autorités locales, on n'en saura pas plus cette fois.