Pour l'ultime numéro de « Double Je », sur France 2, Bernard Pivot a sélectionné les temps forts de son émission à travers des invités qui l'ont surpris et pris à contrepied. C'est le cas d'Omar Sharif dont la culture encyclopédique étonne. Le célèbre acteur égyptien incarne cette part d'universalité qui le porte à être un indéracinable oriental, mais aussi un citoyen du monde. Sa stature de vedette du cinéma international, ses succès à Hollywood et en Europe, ne l'ont jamais coupé de son identité. Omar Sharif n'a jamais renoncé à sa nationalité égyptienne, davantage encore il a refusé systématiquement d'avoir une double nationalité. Pour lui, un tel cas de figure aurait constitué une manière de trahison et un déni de ses racines. Omar Sharif, du fait de sa notoriété, aurait pu être Américain, Britannique ou Français. Il a choisi lucidement l'attachement à la patrie, l'amour du terroir égyptien, en digne fils d'Alexandrie, cette cité à la fois cosmopolite et profondément méditerranéenne où les civilisations se sont croisées. Et c'est ce qui illustre la personnalité d'Omar Sharif, personnalité par ailleurs complexe car l'acteur s'est fait connaître aussi pour sa passion ruineuse du jeu et des chevaux. Son destin n'en est pas moins exceptionnel car rien ne le vouait à franchir les limites d'un cinéma égyptien où il ne faisait pas figure, au milieu des années cinquante, de tête d'affiche même si Youssef Chahine lui avait donné sa chance aux côtés de Faten Hamama. Il n'était pourtant qu'un second couteau en comparaison de Choukry Sarhane, Emad Hamdi, Ahmed Mazher ou Abdelhalim Hafez qui étaient les jeunes premiers attitrés du film cairote. Le tournant de sa carrière, Omar Sharif le doit au réalisateur français Jacques Barattier qui le distribue dans Goha. Dès lors, le jeune acteur égyptien accède à la renommée. Il joue dans Lawrence d'Arabie qui l'introduit durablement à Hollywood. Omar Sharif fait mieux ainsi que son compatriote Gamil Ratib qui avait été l'un des premiers acteurs égyptiens du cinéma international. Extraordinaire performance car les superproductions européennes ou américaines utilisent rarement, pour ne pas dire jamais, les acteurs venus d'ailleurs. Omar Sharif a su s'adapter à cet environnement et se tisser un réseau d'amitiés fortes. Il était notamment un proche de Samuel Beckett, le dramaturge incisif d'En attendant Godot. Omar Sharif raconte qu'il rencontrait chaque mercredi l'auteur irlandais dans un restaurant spécialisé dans le poisson. Pendant leurs repas, Beckett ne prononçait pas le moindre mot et Omar Sharif s'obligeait à pérorer inlassablement, assommant, dit-il, Beckett de ses considérations sur la culture. Le grand poète français Jacques Prévert était également l'un des amis d'Omar Sharif. L'acteur égyptien n'en est pas moins resté, tout au long de ces années de gloire, un oriental auquel il ne serait jamais venu à l'idée de se glisser dans la peau d'un autre en dehors de ses prestations à l'écran. Et à ce niveau-là, son talent est incommensurable car il a pu être un Docteur Jivago crédible, un bandit entreprenant dans L'or des McKenna aux côtés de Gregory Peck ou un émigré arménien dans l'hommage du cinéaste Henri Verneuil à son père. Au plus fort de sa notoriété, Omar Sharif a fait de nombreuses apparitions dans des premiers films de jeunes cinéastes égyptiens. Du « Double Je » final de Bernard Pivot on retient que le parcours d'Omar Sharif vaut d'être médité car il est riche de vertus morales : l'acteur égyptien a rappelé avec simplicité et conviction qu'il est préférable d'être de chez soi qu'étranger chez les autres ; qualité dont on sait qu'elle ne s'affirme pas forcément au tamis de l'intégration. Omar Sharif a été d'une certaine manière un travailleur émigré mais constamment rivé à ses racines. Il a appris des autres autant qu'il leur a appris. Sa philosophie minimale était qu'il ne pouvait pas être autre chose qu'un Egyptien. D'autres que lui, et ils pouvaient avoir leurs raisons, n'auraient pas hésité un seul instant à franchir le pas. Pour Omar Sharif, la question ne s'est même pas posée et c'est lui au bout du compte qui est touché qu'on ait pu penser, comme l'a fait Bernard Pivot, qu'il avait une double nationalité. On ne change pas d'identité comme on change de chemise.