La dernière déclaration de l'ancien chef terroriste et membre de la direction politique du parti dissous, Madani Mezrag, parue dans les colonnes de l'hebdomadaire L'Intelligent (ancien Jeune Afrique), sont une reconnaissance de « faits de cette guerre » qu'il a menée pendant des années contre le peuple. Elle reflète les convictions de l'ancien chef de l'AIS, une organisation terroriste autodissoute après la grâce amnistiante décrétée en 2000. Sollicité pour faire campagne pour la politique du pardon, il ira jusqu'à apparaître publiquement aux côtés du président de la République ou encore à animer des conférences de presse et des meetings sans se soucier de la réaction des familles de ses nombreuses victimes. Madani Mezrag reste fidèle à ses principes d'ancien terroriste : « Je ne suis pas un repenti. J'ai mené une guerre juste et j'ai passé un accord, les armes à la main, avec l'état-major de l'armée. » Cet accord n'a été en fait qu'une issue de secours. L'AIS traversait une grave crise entre 1994 et 1997. Au moment où ses effectifs rejoignaient le GIA, l'AIS s'est retrouvée prise en étau entre les coups durs assenés par les forces de sécurité dans ses fiefs même à Jijel, Collo, et Chlef, et la guerre lancée par le GIA. La seule solution qui permettait à Madani Mezrag une sortie « honorable » était de déposer les armes et d'annoncer, d'une manière unilatérale, la trêve en 1997. Il accepta de signer un document officiel dans lequel il reconnaît qu'en Algérie, il n'y a qu'une seule armée, l'ANP. Il a mis à profit les luttes internes au sein de GIA pour faire rallier certains membres de cette organisation à la trêve. Parmi ces derniers, les terroristes de la Katibat Errahmane, dirigée par Mustapha Kartali, ou le groupe de Ali Belhadjar. Dans l'entretien accordé à L'Intelligent, Mezrag a reconnu quelques-unes de ses tueries en déclarant : « Oui, j'ai tué de mes propres mains. C'était en 1993, dans la région de Jijel, au cours d'une embuscade dressée contre un convoi militaire. Le jeune militaire agonisait encore lorsque j'ai arraché le Kalachnikov de ses mains. J'ai gardé cette arme pendant plusieurs années, mais je l'ai toujours détestée. Pourquoi ? Parce qu'elle m'a toujours rappelé les râles de ce militaire au moment où il rendait l'âme... » L'ancien chef terroriste ne cesse de se démarquer du GIA prétextant ne s'être jamais attaqué à des civils. « Un haut responsable de l'armée raconte volontiers que Madani Mezrag a éborgné un soldat avec une fourche avant de le découper en morceaux », lit-on dans L'Intelligent. Au début de l'année 1993, lorsque les premières condamnations à mort contre les journalistes ont été lancées, les auteurs n'étaient autres que les chefs de l'AIS, étant donné que le GIA n'était pas encore actif sur le terrain. L'enlèvement de Brahim Taouchichet en 1993 et sa séquestration pendant quelques jours étaient également l'œuvre de l'AIS et non du GIA. « Si j'étais encore au maquis, je n'aurais jamais accepté de vous rencontrer », a-t-il lancé au journaliste de L'Intelligent. A ce titre, celui-ci lui a rappelé les circonstances de la visite du journaliste de BBC, Phill Rees, dans ses camps en 1994. « Si je vous rencontre, qu'est-ce que je risque ? », avait demandé Rees à Mezrag. La réponse de ce dernier a été macabre : « Dans le meilleur des cas, une mort douce. » Phill Rees a eu la chance de repartir vivant. Cela n'a pas été le cas des 120 journalistes assassinés depuis. Madani Mezrag ne regrette rien. Il est même convaincu que ses « idées vont finir par triompher en Algérie. Je suis convaincu à 100% que le courant islamique va dominer la société ». Méthodes de guérilla Pour lui, tous les moyens sont bons dans une guerre, tout comme le prétendent le GIA et aujourd'hui le GSPC. Mêmes pratiques et mêmes méthodes de guérilla adoptées par l'ensemble des organisations islamistes armées qui ont ensanglanté le pays pendant toute une décennie. Exécutions sommaires, racket, viol, massacres, attentats à la bombe... « Les prisonniers étaient systématiquement tués. Bien sûr, sur le plan humain cela me touchait, mais en tant que chef de guerre, je ne devais pas m'encombrer d'états d'âme. Il fallait tuer ou être tué. » Mais dans la foulée, il a laissé transparaître un sentiment révélateur. Il reconnaît à ses « ennemis d'hier » d'avoir fait preuve de cette mansuétude dont, lui, n'a pas été capable. « En 1996, il échappe à une opération de ratissage dans la région de Jijel. Son épouse et ses enfants sont arrêtés dans une casemate. Les soldats les ramènent sains et saufs dans sa maison familiale à Kaous », a écrit le journaliste. La grâce amnistiante, décrétée en janvier 2000, a lavé juridiquement Madani Mezrag et les membres de son organisation terroriste de leurs crimes. Une décision qui a surpris l'opinion publique dans la mesure où le référendum de septembre 1999 portait sur les dispositions de la loi sur la concorde civile qui excluaient les personnes impliquées dans les crimes de sang, les viols et les attentats à l'explosif. L'article 41 de cette loi, qui annonçait un autre texte destiné « aux organisations ayant déposé volontairement » les armes, préludait en fait le décret portant grâce amnistiante. L'effet de surprise a paralysé les familles des victimes du terrorisme, dont les plaies sont encore douloureuses et béantes. Madani Mezrag ne craint même pas d'être poursuivi par cette frange de la société meurtrie dans sa chair. « Ceux qui veulent me poursuivre en justice sont libres de le faire. Je n'ai peur de rien. Je n'ai peur de personne. » L'ancien émir sait qu'aucun juge en Algérie ne pourra le poursuivre pour les nombreux crimes qu'il a commis du fait de l'impunité dont il a bénéficié. Il sait également que la conjoncture actuelle n'est pas en faveur d'une remise en cause par le Conseil d'Etat de cette grâce amnistiante qui, de l'avis des constitutionnalistes, reste totalement anticonstitutionnelle. Si aujourd'hui Mezrag et ses phalanges de la mort sont blanchis par la justice algérienne de leurs abominables tueries, ils restent néanmoins passibles devant les tribunaux internationaux de crimes contre l'humanité.