Exiguïté historique et problèmes de foncier obligent, des morts se disputent encore des espaces. A Mila, dans la turbulente wilaya de Jijel, une polémique a lieu entre deux illustres disparus, tous deux héros de l'Indépendance. La querelle oppose le moudjahid Abdelhafid Boussouf, enfant de la ville, au chahid Rachid Chaâboub, fils de la même ville. Le problème ? Une stèle doit être érigée en l'honneur de Abdelhafid Boussouf, mais dans un parc dédié à Rachid Chaâboub. Tout naturellement, les partisans des deux hommes s'affrontent pour savoir quel est l'ayant droit du parc, qui s'appelle le parc Rachid Chaâboub, mais va être rebaptisé parc Abdelhafid Boussouf. Question, les partisans de l'ex-patron des services de renseignement sont-ils à ce point mal renseignés pour n'avoir trouvé que la place d'un chahid pour ériger une stèle ? Drame, les partisans de Rachid Chaâboub sont-ils condamnés à revivre un deuil qu'ils croyaient enterré ? Question, dans l'Algérie qui n'a pas encore digéré ses histoires, ce litige de places post-mortem ne rappelle-t-il pas une autre histoire de morts, celle de la tombe de Abane Ramdane qui aurait été profanée, probablement par l'admirateur d'un autre chahid ? Les vieilles histoires se rejoignent, c'est justement Abdelhafid Boussouf qui a tué Abane Ramdane, et par consensus historique, les deux héros se sont retrouvés enterrés dans le même carré des martyrs d'El Alia. Ironie des hommes, Boussouf a été enterré juste derrière sa victime, Abane, comme pour mieux le surveiller, et Chaâboub, qui se croyait à l'abri, a été bousculé par le même Boussouf. Entre Abane, Chaâboub et Boussouf, trois héros morts pour que le pays se réapproprie son histoire, qui a raison ? Personne, sauf les vivants, les morts étant connus pour ne pas pouvoir donner leur position sur le conflit. Sauf que, pour Boussouf, les spécialistes racontent qu'il peut.