Politologue, auteur de nombreux articles et analyses portant sur les thèmes d'actualité politique économique et sociale. - Les élus locaux se plaignent souvent du manque de prérogatives pour répondre aux attentes des citoyens. Cet argument peut-il, à lui seul, justifier l'impasse dans laquelle se trouvent les APC actuellement ? Les élus locaux manquent réellement de prérogatives et, aussi, de moyens pour exercer celles dont ils disposent théoriquement. En fait, le code communal dans sa version de 1966, comme dans toutes celles qui ont suivi - y compris celle qui vient d'être votée par l'avant-dernière cession de l'APN et du Conseil de la nation - ont mis les élus locaux sous étroite tutelle et surveillance de l'administration : le wali est le seul vrai patron des communes. Rien ne peut se faire sans son assentiment et encore moins contre son avis. La dernière réforme n'a rien changé à la situation. Cela étant dit, cela ne signifie pas que rien n'est de la faute des élus locaux dans la situation d'impasse dans laquelle se trouvent actuellement les APC. Quand on y regarde de plus près, on retrouve dans la gestion de nos collectivités locales l'ensemble des tares qui ont mené le pays jusqu'à l'état de déliquescence absolue dans lequel il se trouve aujourd'hui : incompétence, absence d'engagement, clientélisme, corruption, bureaucratie envahissante, «khobsisme», comportement méprisant envers les citoyens et bien d'autres qualificatifs tous aussi noirs les uns que les autres. Souvent, l'on accuse le faible niveau de formation et de culture politique des élus locaux pour expliquer l'état désastreux dans lequel se trouvent la quasi totalité de nos collectivités locales. C'en est probablement l'une des causes ; ce n'en est certainement pas la principale. Aujourd'hui, une très grande partie des communes du pays est dirigée par des présidents d'APC et leurs adjoints qui disposent de niveaux scolaires suffisants. Certains sont même en possession de diplômes de l'enseignement supérieur. Mais leurs communes ne sont pas mieux gérées que les autres : les mêmes tares sévissent et empirent. S'il faut accuser quelque chose, c'est vers le système de prédation mis en place par ceux qui se sont accaparés du pays au lendemain de l'indépendance qu'il faut diriger son regard. La politique d'accaparement et de rapine a pris le-dessus sur tout le reste : on se fait élire pour se servir et non pas pour servir. - Le nouveau code communal obéit-il à une volonté de continuer à centraliser le pouvoir par peur de perdre le contrôle ? Le pouvoir n'avait aucune intention de donner plus de prérogatives aux présidents d'APC. Bien au contraire, il a encore donné plus de pouvoirs à l'administration. Pas seulement des pouvoirs de contrôle – a priori ou a posteriori – qui sont normaux, mais un vrai pouvoir de décision sur beaucoup de sujets essentiels à la vie démocratique d'une commune. Les raisons avancées (discrètement, car officiellement le gouvernement refuse d'avouer qu'il a encore aggravé la dépendance des élus locaux vis-à-vis de l'administration) sont que les présidents d'APC se trouvent dans l'incapacité de faire face, seuls, aux revendications sociales, de plus en plus violentes, des citoyens. L'Etat ne peut pas se permettre de transférer aux présidents d'APC une partie de son pouvoir régalien - et des moyens qui vont avec - afin qu'il règle lui-même les problèmes de logements, de terrain à construire, de travail, d'aide aux petites entreprises locales, de soutien des prix, etc. Ce serait accepter de se séparer du seul vrai pouvoir capable de ramener la paix sociale. Par ailleurs, il connaît l'usage détourné que la majorité des élus locaux feront de cette nouvelle manne. Elle risque très fort d'être détournée pour des raisons de clientélisme politique et aussi pour des raisons d'enrichissement personnel. C'est un risque que le pouvoir ne veut plus prendre, sachant l'effet désastreux qu'il aura sur la colère populaire qui gronde et qui attend la moindre étincelle pour exploser. Il préfère donc garder cette manne pour lui et opérer à sa répartition lui-même, pour acheter la paix sociale et se créer une aura d'Etat fort et compréhensif, qui prend en charge - mieux que les élus locaux - à coups de milliards de dinars tous les problèmes sociaux des citoyens. C'est d'ailleurs à cause de cette situation - créée de toutes pièces par l'Etat - que les citoyens mécontents sont encouragés à durcir de plus en plus leurs revendications (qui se transforment systématiquement en émeutes) et à s'en prendre, parfois physiquement, aux présidents d'APC et aux élus locaux qui constituent les maillons faibles de la chaîne du pouvoir. - Le nombre d'élus locaux impliqués dans des affaires de justice (146 affaires en 2010) discrédite aux yeux du citoyen cette cellule de base de l'Etat. Quelle lecture faites-vous de ce constat ? Les affaires qui pullulent ces derniers temps et qui mettent en scène des élus véreux ou qualifiés de tels pour les éliminer ne sont en fait que la partie émergente d'un immense iceberg qui touche à tous les niveaux du pouvoir, politique, économique et social. Les élus locaux sont la face la plus visible de la corruption qui dévaste le pays : ils vivent près des citoyens et ne peuvent donc pas cacher longtemps le fruit de leurs rapines : les immenses villas qu'ils construisent ; les véhicules de luxe qu'ils possèdent et qu'ils changent tous les ans ; les commerces qu'ils ouvrent en leurs noms ou en ceux de leurs proches ; les voyages qu'ils effectuent régulièrement aux Lieux Saints de l'Islam ou ailleurs ; etc., tout cela finit par devenir trop visible. Il suffit donc d'une anicroche avec un ex-compagnon, devenu entre temps ennemi, pour qu'une lettre anonyme parvienne à la gendarmerie, ou au procureur général, ou au wali, ou … C'est providentiel pour le pouvoir qui veut prouver qu'il est en train de lutter efficacement contre la corruption, pour déclencher une enquête et mettre en prison les brebis galeuses. Entre temps, à un niveau plus élevé, les choses continuent de ronronner et les grands prédateurs qui sont au sommet de l'Etat ou tout autour de lui, continuent de dormir sur leurs deux oreilles. La lutte contre la corruption n'a toujours pas commencé en Algérie. Et elle n'est pas encore près de l'être.