Six ans après les émeutes à Clichy-Montfermeil (novembre 2005), une équipe dirigée par Gilles Kepel a interrogé ce lieu porteur d'histoire et de sens dans une étude commandée par l'Institut Montaigne. Lyon De notre correspondant Dans la lignée de ses travaux sur la société française, l'Institut Montaigne a mené une grande enquête intitulée «Banlieue de la République» sur le territoire où ont éclaté les émeutes de 2005 : la communauté d'agglomération de Clichy-sous-Bois/Montfermeil (93). Pour faire suite à cet important travail, l'Institut Montaigne et la fondation Genshagen organiseront les 9 et 10 novembre prochain un événement conjoint sur le thème de l'immigration et de l'intégration en France, en Allemagne et en Europe intitulé «Flux migratoires et intégration : défis nationaux, enjeu européen». Ensuite, un débat se tiendra en janvier à Paris autour de Gilles Kepel, auteur de Banlieue de la République, de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, et de Xavier Lemoine, maire de Montfermeil. Les résultats de l'enquête et les propositions seront restitués lors d'une grande journée en janvier en Seine-Saint-Denis, pour faire des propositions qui nourriront le débat de la présidentielle de 2012. Les deux villes de la couronne parisienne bénéficient aujourd'hui du plus important plan de rénovation urbaine de France mis en œuvre par le gouvernement, mais doivent faire face à un fort taux de chômage. L'ouvrage Banlieue de la République, dirigé par Gilles Kepel, permet d'interroger la façon dont se construit le lien social dans un territoire très contrasté, où y résident classes populaires et classes moyennes, françaises ou étrangères, en pavillon ou en grands ensembles, dégradés ou non. Ce travail apparaît nécessaire dans un contexte où les opinions se sont enflammées au cours des débats successifs sur l'identité nationale, la burqa, la sécurité, etc. Pour le chercheur Gilles Kepel, l'étude répond à «l'articulation entre société, politique et religion en banlieue». Ces questions s'imposent de manière «aussi récurrente que confuse au cœur du débat national français. Immigration, Islam, identité nationale, insécurité : le télescopage de ces quatre i brouillait la réflexion publique plus qu'il ne la clarifiait». Pour lui, le travail de réflexion et d'enquête auprès des habitants «ne porte pas sur l'émergence de l'Islam comme tel, dont chacun sait aujourd'hui qu'il constitue une composante de notre nation, elle s'interroge sur une agglomération, à tous les sens du terme, où l'Islam joue un rôle important, intriqué avec d'autres enjeux – la ville, l'éducation, l'emploi, la sécurité, la politique, la religion – pour former la notion même de ‘‘banlieue'' dans l'usage courant du français contemporain». Le pari de rendre ces quartiers intelligibles En 1985, le premier travail de Kepel, alors jeune chercheur, s'intitulait Les banlieues de l'Islam. L'ouvrage parcourait «en surface la forêt primaire de l'Islam en France au milieu des années 1980, sans autre ambition qu'y tracer les layons pour se repérer. Banlieue de la République pousse sa tarière à travers les couches inextricablement imbriquées où se déploie l'Islam de France un quart de siècle plus tard : l'habitat, en cités dégradées ou rénovées et en pavillons, l'école, le collège et le lycée, le travail et le chômage, la tranquillité publique et l'émeute, les réseaux associatifs, les élections municipales et cantonales, la construction des mosquées, le Ramadhan, le halal. Ainsi pose-t-il le pari de : «contribuer à rendre ces quartiers intelligibles, en observant au quotidien comment s'y réalise – ou non – la promesse républicaine. La banlieue n'est pas à la marge, mais au centre : c'est au prix de ce renversement de perspective que se lit notre avenir commun». Bien sûr, si le lieu de l'enquête n'est pas représentatif, il est emblématique d'une agglomération de Clichy-Montfermeil qui a connu une notoriété universelle lors des événements de l'automne 2005. «Ces émeutes, outre leur dimension spectaculaire, heurtaient en son tréfonds le grand récit fondateur de la France moderne, l'imaginaire implicitement partagé selon lequel la nation était toujours capable d'intégrer, quels que soient les aléas sociaux, culturels, ethniques, tous ceux qui étaient venus y résider et, plus encore leurs enfants nés sur le sol de leur nouvelle patrie, éduqués à l'école de la République, et donc imbus des valeurs communes qu'elle leur avait inculquées». Dans la conclusion de son résumé d'un travail remarquable, Gille Kepel note : «Sans doute est-ce la faible capacité d'attraction de la promesse laïque qui interroge le plus au terme de cette recherche (…). Il faudrait pour cela que l'insertion dans la société par l'emploi rende au peuple dans sa diversité une pleine croyance dans les valeurs de la nation, et que l'éducation lui en ait fourni les capacités face aux défis quotidiens d'un univers mondialisé et post-industriel qui bouleverse les repères d'hier. C'est le chantier immense qui, après la rénovation urbaine, s'ouvre dans les quartiers défavorisés : l'enjeu en est l'homme, dont seul le travail fait un citoyen à part entière, et cela se ressent avec une acuité emblématique dans la banlieue, au cœur de notre République». Loin des amalgames réducteurs et porteurs de rejet.