Un fantôme hante les politiques, les journalistes, les sociologues et autres spécialistes : la question de l'islamisation des banlieues. Il a suffi de la publication de «Banlieue de la République», une étude sur Clichy-sous-Bois et Montfermeil de l'influent Institut Montaigne, pour qu'une peur verte se répande dans l'univers des sachants. Le récent rapport souligne, certes, l'influence croissante de l'Islam dans les cités. Mais c'est surtout sa surmédiatisation et les réactions, nombreuses et souvent crispées, qui sont les plus frappantes. L'étude, conduite par l'islamologue Gilles Keppel, met notamment l'accent sur le poids grandissant de l'Islam dans les cités paupérisées. Fait étonnant, les élites intellectuelles et médiatiques semblent découvrir la marge sociale, le ghetto urbain, les quartiers populaires, ces fameuses ZUP. Bref, La Zone, en fait les zones de désaffiliation où l'Islam, en plein essor, de plus en plus visible et parfois majoritaire, est devenu un puissant marqueur identitaire. En réalité, le constat, celui d'une forme d'islamisation de certains territoires, n'est pas véritablement une découverte. Que l'on se souvienne à ce sujet du rapport Obin de l'Education nationale qui montrait déjà, en 2004, le débordement dans l'espace public des pratiques communautaires dans les établissements scolaires en banlieues à forte population musulmane. Rien de bien nouveau donc, le problème étant en réalité sur la table depuis au moins dix ans. Cette question culturelle et identitaire est d'abord le résultat d'une dynamique démographique. S'il est la seconde religion, l'Islam reste largement minoritaire même si la dynamique démographique lui profite plus que les autres religions. Par comparaison, la reviviscence de l'Islam dans les quartiers en difficulté est inversement proportionnelle au recul des vocations chrétiennes à un moment où la sécularisation progresse chez les autochtones dans une France en état de déchristianisation progressive. La visibilité de l'Islam et de ses pratiques est ainsi directement liée à l'importance de la dynamique démographique : flux migratoires et accroissement naturel important. Face aux chrétiens, qui font de moins en moins d'enfants et désertent de plus en plus les lieux de culte, les musulmans sont démographiquement plus féconds et font de leur foi une double question cultuelle et culturelle. Ainsi, le nombre de musulmans serait de 4 millions en 2008, soit 6,4% de la population, selon une estimation à partir de l'enquête «Trajectoires et origines» de l'INED-Insee. S'ajoute le fait que les musulmans soient très concentrés dans les grandes agglomérations, ce qui accroît leur visibilité : en 2008, plus des 2/3 résident dans les villes de 200 000 habitants ou plus. Concentration urbaine, fécondité démographique et visibilité culturelle distinguent donc l'Islam en France. Ce qui n'empêche pas les élites hexagonales d'être victimes d'un effet de loupe ou de diffraction quand il ne s'agit pas de myopie. Le travail politique du FN et celui de l'UMP a contribué à inscrire l'Islam et l'immigration dans un agenda politico-médiatique permanent. Alors, à défaut d'une islamisation de la France, tant redoutée et suramplifiée, l'importance des réactions suscitées par le rapport Keppel révèle finalement un profond malaise du pays face au surgissement d'une société multiculturelle encore impensée. Une société où le séparatisme culturel est désormais établi. C'est même là, le constat d'échec du modèle d'intégration républicain. N. K.