Islamiste du premier cercle, Hamadi Jebali, qui pourrait prendre les rênes du futur gouvernement tunisien, passe pour le visage modéré du parti islamiste Ennahda et pour un homme de compromis, mais ses longues années dans les geôles de Ben Ali lui ont forgé un caractère d'acier. Petite barbe blanche, lunettes à fine monture et «tabaa» (la marque de prosternation des musulmans pieux) sur le front, Hamadi Jebali, numéro 2 d'Ennahda, est le candidat du parti pour le poste du futur Premier ministre. Né en 1949 à Sousse, la «Perle du Sahel» sur la côte orientale tunisienne, cet ingénieur en énergie solaire et ancien journaliste est un des cofondateurs du Mouvement de la tendance islamique (MTI) en 1981, qui deviendra Ennahda (Renaissance, en arabe) en 1989. «C'est un islamiste du cercle historique. Il a notamment dirigé la confrontation contre le régime de Bourguiba en 1986», note Sofiene Ben Fahrat, journaliste et écrivain. Ancien rédacteur en chef du journal d'Ennahda Al Fajr (l'Aube), M. Jebali est condamné une première fois, en 1991, à un an de prison pour diffamation. Un an plus tard, alors que la répression anti-islamiste bat son plein sous le régime Ben Ali, il est condamné à 16 ans de prison, et passera une bonne partie de sa peine à l'isolement, avant d'être gracié en 2006. Décrit comme détendu et souriant, très bonne plume et parfaitement francophone, M. Jebali est «un homme qui a toujours eu très bonne presse, il a une vaste panoplie de relations, un bon carnet d'adresses», selon Sofiene Ben Fahrat. «Actuellement, il se positionne dans le courant réformiste d'Ennahda, qui est un parti tiraillé entre plusieurs tendances», rappelle le journaliste. «En le proposant au poste de Premier ministre, Ennahda envoie un message fort à destination interne et externe», estime-t-il. Vitrine d'un islam politique rassurant, M. Jebali s'était rendu à Washington après la révolution en compagnie de deux autres cadres «modernes» du mouvement, le jeune avocat Samir Dilou et Nourredine Bhiri, tous deux membres de l'exécutif du parti. Invités dans le cadre d'un think-tank proche des islamistes, les trois hommes auraient eu des contacts «au plus haut niveau» avec des responsables américains et leur auraient donné un message rassurant, selon la presse tunisienne. «Il est bien connu des Américains», confirme une source diplomatique, en confiant avoir été «fortement impressionné» par le responsable islamiste. «Il est très calme, très sûr de lui, a un discours très construit. Mais ce n'est pas un tendre, ses années de prison lui ont forgé le caractère», selon cette source. «Il reste entouré d'un halo de mystère dû à son passé», estime M. Ben Fahrat. Dans un récent chat au journal Le Monde, juste avant le scrutin du 23 octobre, M. Jebali assurait : «Si on remporte les élections, la Tunisie ne sera pas un pays islamique, elle sera un pays démocratique.», affirmant qu'Ennahda «est un parti politique et civil, pas théocratique». Questionné sur la vente d'alcool ou la liberté de ne pas jeûner pendant le mois sacré de Ramadhan, il répondait : «On n'a pas le droit de s'immiscer dans les affaires personnelles, mais tout le monde a le devoir de respecter le consensus et l'identité nationaux.»