Cet événement qui fait la fierté de Guelma depuis trois ans, cité généreuse et accueillante, a pris fin dans une ambiance radieuse. C'est la 3e édition du Colloque sur Kateb Yacine qui s'est tenu à la salle de cinéma Le Triomphe, en plein centre-ville, du 25 au 27 octobre, à l'initiative de l'association locale, Promotion du tourisme et action culturelle. L'assistance, assez importante, attentive surtout, a assisté à diverses communications sur ce monstre sacré de la littérature, ce surdoué qui est entré, de plain-pied à 15 ans, dans l'histoire sanglante d'un certain 8 Mai 1945. «Son œuvre n'est jamais à bout de souffle ; elle a ce génie de toujours susciter l'exégèse, sans s'épuiser», dira, en marge de la conférence, un participant qui se définit lui-même «lecteur impénitent de Nedjma». C'est par le témoignage, plus qu'une communication à thème, du grand écrivain Rachid Boudjedra que s'est terminée cette manifestation culturelle. «C'est bien, ces joutes, note-il avec satisfaction (faisant allusion aux débats controversés des uns et des autres, parfois jalonnés de malentendus sur l'auteur de Nedjma) ; chacun défend ses lectures.» Et de poursuivre à bâtons rompus : «J'ai connu Kateb Yacine dans certains bars d'Alger dans les années 1970, violent, timide, tendre, fragile, dans ses moments de tristesse… et pour cause, il a vécu une violence extrême à 15 ans. Mon livre, La Répudiation, je l'ai envoyé à un seul écrivain algérien, et c'était lui ; il m'a envoyé une lettre de 4 ou 5 lignes disant : ‘‘Maintenant, je ne suis plus seul.'' Depuis, nous nous sommes rencontrés à Paris et nous nous sommes beaucoup fréquentés ; j'ai vu sa pièce La poudre d'intelligence… Il aimait les pauvres, avait une conscience douloureuse des classes, il en souffrait, alors qu'il n'était même pas riche lui-même.» Les paroles de Rachid Boudjedra n'ont manifestement pas fait plaisir à certains amis et autres membres de la famille Kateb, qui ont reproché à celui-ci des «velléités de nuire à l'image de l'écrivain», notamment quand il a émis le vœu que Kateb «ne s'arrêta jamais d'écrire des romans». Selon lui, il aurait été «mal conseillé, car il était entouré par des gens qui n'étaient pas de son niveau, des théâtreux, c'était un grand enfant génial et naïf, dans le sens positif du terme.» Visiblement, l'auteur de La répudiation s'est senti incompris dans ses tentatives de justification. Pourtant, il a reconnu avec une grande sincérité ce qu'il devait à cet aîné, à qui il aurait voulu ressembler. «Très jeune, j'avais découvert Faulkner, Joyce, et voilà qu'à 14 ans je découvre un Algérien à la mesure de mes aspirations ; ‘‘Voilà ce que je serai'', me suis-je dit. Je suis influencé par Kateb, et c'est un honneur ; on ne vient pas du néant, on a tous nos références», a-t-il avoué avec beaucoup d'humilité, lui qui, par ailleurs, reconnaît son «narcissisme, comme tous les artistes sensibles». Pour lui, peu de gens ont lu Kateb et Boudjedra. «Combien de personnes connaissent vraiment nos œuvres ?», s'est-il interrogé. Certes, Rachid Boudjedra, en voulant parler de Kateb, n'a pu s'empêcher de se mettre en avant, entre autres avec l'histoire indélébile, jamais tranchée, de la haine du père, mais il est incontestablement l'un des plus grands écrivains algériens de notre époque, sinon le plus grand, de l'avis des plus éminents critiques littéraires. Quant au Keblouti, beaucoup diront qu'il n'a aucunement besoin d'un gardien de sa mémoire, surtout en matière d'innovation littéraire, car «c'est désormais un mythe, une constellation, une Nedjma dans un firmament radieux, qui ne s'éteindra jamais.» Nous ne saurions léser les autres conférenciers, lesquels ont «commis», chacun, leurs travaux sur le personnage qui prenaient des airs de roses dans un vase géant. La jeune Autrichienne, spécialiste de la littérature maghrébine, Roswita Geyss, a discouru sur Kateb avec une grande aisance. Par le thème : «Femme(s) sauvage(s), bête(s) sauvage(s), langue(s) sauvage(s), les univers symboliques de Kateb Yacine», elle a tenté d'aborder le rôle de la femme chez l'auteur, et ce qui symbolise son courage, — aussi bien l'animal (le chat), que le végétal (le figuier, l'oranger, etc.) — en faisant ressortir la condition de la femme vue par «celui qui appelait sa mère la Rose noire, et avait sacralisé les femmes de son pays, autrefois beaucoup plus libres», a-t-elle rappelé, en se référant entre autres à la Kahina. Une intervention de Malika Boukhallou, de l'université Mouloud Mammeri, de Tizi Ouzou, intitulée : «Le problème de l'émigration vu par Kateb Yacine», a mis en avant «le désir de l'auteur d'explorer et de propager l'histoire des peuples d'Afrique dépossédés de leurs identités». Belhaceb Messaoud, de l'université du 8 Mai 45 de Guelma, a livré une communication sur «Le cadavre encerclé, une leçon d'humanisme». «La répression du 8 Mai 45 dans Le cadavre encerclé a été visitée par Boucif Mekhaled, professeur d'histoire à l'université d'Oran. Brahim Hadj-Slimane a évoqué le parcours de Kateb à travers un court métrage, où le comédien Mahfoud Lakroun raconte le travail dramaturgique de l'auteur. Le comédien, qui était présent, a ébloui l'assistance avec des répliques en arabe dialectal tirées de Mohamed prends ta valise, avec Malika Boukhallou. Ce bouillon de culture, qu'on souhaiterait plus fréquent, a vu son terme avec le groupe local de malouf de Fethi Kebabsa, qui a fait le bonheur de l'assistance. A noter que des présents ont été aimablement distribués aux participants par l'association organisatrice du colloque.