Une grande fête du cinéma s'est déroulée du 25 au 29 octobre dans le magnifique village culturel Katara de Doha, à l'occasion du Festival du film Doha-Tribeca. Mohammed Mallas, président du jury, a remis le grand prix à Merzak Allouache. Doha. De notre envoyé spécial On ne saurait se plaindre du succès du cinéma algérien qui a fait très bonne figure à Doha, avec le grand prix remis à Merzak Allouache pour son film Normal. Au milieu de films événements comme Black Gold et The Lady, le cinéma algérien était aussi représenté par Rabah Ameur Zaïmèche qui est l'auteur et l'acteur d'un très beau film Les Chants de Mandrin et par Fatma-Zohra Zamoum dont le film réjouissant Kedach Ethabni a pour héros un gamin d'Alger magnifique. Le cinéma algérien a ainsi pris les devants sur un large échantillonnage de productions arabes d'Egypte, du Liban, de Syrie, de Palestine, de Tunisie... Un groupe de producteurs indépendants a fait aussi le voyage à Doha : Hachemi Zertal, Malek Ali Yahia, Yacine Lalaoui, Younès Khammar. A Doha, beaucoup étaient prêts à miser sur les films algériens, nettement meilleurs. Le cinéma algérien est ainsi paradoxalement consacré au Qatar pour son dynamisme, sa prouesse de vaincre maintes difficultés, des mois sinon des années à venir à bout d'une production, alors qu'en Algérie il est très peu montré. Le public algérien le verra des années plus tard s'il passe à la télévision. Normal est un film chargé de l'atmosphère expressément politique que traverse notre pays. Merzak Allouache a imaginé et mis au service d'une fiction un reportage qu'il a tourné pendant le 2e Festival Panafricain d'Alger. Ce n'était pas sans risques. On assiste à de longs passages déconstruits, totalement improvisés, avec des analyses de la situation du pays assez confuses. Les jeunes acteurs du film, c'est vrai, ne sont pas des érudits et ne connaissent pas les grands débats d'El Watan... Mais, curieusement, ça colle. Normal est un film léger, rapide, on ne s'ennuie pas un seul instant pendant la projection. Les acteurs utilisent la langue «derja» tellement attachante qu'on se réjouit de l'entendre. Tous les comédiens sont bons, les comédiennes surtout. Ce ne sont pas des midinettes, loin de là, l'une d'elles flanque un coup de tête à un récalcitrant, qui le laisse étendu à terre, en mauvaise posture. Une autre, qui n'est pas une minus non plus, s'en sort avec honneur d'une scène répétée 13 fois où elle doit embrasser un garçon sur la bouche... C'est lui qui se plaint qu'il a senti une langue dans sa bouche ! Où va-t-on ? Dans quel pays nous vivons ? Ces brillants exercices d'humour font que dans Normal, on n'est pas écrasé par les palabres sans fin et sans suite. C'est une méthode incroyablement singulière (et c'est sans doute cela qui a plu au jury de Doha) de rattacher le Panaf, sous l'égide duquel toute l'Afrique a fait la fête à Alger, aux perpétuelles émeutes, parfois d'envergure, qui secouent la capitale. Comme si c'étaient les mêmes transes, les mêmes paroxysmes qui règnent à Bachedjarrah, Bab El Oued et dans les lointaines capitales du Tchad et du Burkina Faso. Entre lassitude, émotion et grands éclats de rire, les acteurs disent aussi leurs soucis, le film inachevé, la pièce théâtrale refusée. Ils sont court-circuités lâchement par l'épaisse couche de bêtise qui est la marque de l'administration. La résistance s'organise. La victoire n'est pas pour demain. La censure triomphe. Normal accumule ainsi, pendant 100 minutes, fiction et reportage, actualité et narration. Tout y passe. Il y a même dans Normal une belle géographie d'Alger, de vues des terrasses sur la baie qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Filmé aussi à Alger, le second opus fiction de F-Z Zamoum a suscité un vif intérêt à Doha. C'est surtout le portrait du jeune Adel (9 ans), un gamin dziri, beau, intelligent, séduisant (ce petit génie s'appelle Racim Zennadi, il a eu un succès fou à Doha !). Ses parents traversent une crise et le confient aux grands-parents. Un couple zen, comme dans les chefs-d'œuvre du Japonais Ozu qui ont des cages d'oiseaux sur la terrasse et qui ont atteint la grandeur, la bonté, la sagesse de l'âge (dans ces rôles, deux excellents acteurs, purs produits du TNA : Abdelkader Tadjer et Nadjia Debbahi-Laâraf). Le récit tient le cap. C'est le regard d'Adel sur le monde des adultes. Et le jury aurait très bien pu mentionner Racim Zennadi pour le prix d'interprétation. Cela devait être le clou du festival de Doha, ce fut le grand événement : Black Gold, superproduction qatarie réalisée par Jean-Jacques Annaud. Budget colossal, mise en scène triomphale, acteurs qui comptent parmi les stars : Antonio Banderas,Tahar Rahim, Freida Pinto. Concrètement, l'histoire se passe dans les années 1930. L'or noir qui jaillit provoque aussitôt la convoitise des tribus. Chaque camp cherche à s'accaparer des puits, promesse de richesse éternelle. Entre deux puissants émirs, la guerre fait donc rage. On est pris de vertige devant les batailles panoramiques. On sourit de voir Antonio Banderas dans ses nouveaux habits d'émir d'Orient. The Lady a fait également un tabac au Festival de Doha, où le programme, la remarquable organisation aidée par des centaines de jeunes volontaires qataris, les rencontres, colloques et masters class, l'hospitalité d'un luxe inouï ont concouru à en faire un rendez-vous inoubliable.