L'informel est un commerce fructueux et aux dividendes sûrs. Agé de 33 ans, G. Yacine, dont la moitié passée en milieu carcéral, ne semble vivre que pour sa patrie de substitution, «El houma». C'est là qu'il a grandi, qu'il a appris également à s'imposer auprès des autres pour gagner son pain quotidien. La vie n'a pas toujours été facile pour ce jeune de la cité PLM, qui a commencé très tôt à contrevenir aux règles que lui imposait son entourage. Lâché par un système éducatif chancelant, il devra, pour survivre, faire allégeance au groupe de jeunes de son quartier. Cette ligue, dont la dynamique a fini par imposer une stricte hiérarchie, arrange le jeune homme. «Je suis soutenu par les miens, car à n'importe quel moment je peux faire appel à eux», dit-il avec fierté. Le groupe de jeunes pour lequel Yacine est prêt à se sacrifier a un chef qu'on surnomme le «général». On lui doit respect et obéissance, mais il est autant serviable que craint. La vie s'écoule pour Yacine entre le groupe d'amis et la «D'lala» du quartier (petit espace dédié au commerce informel), où la coterie a fini par y imposer son autorité absolue. «Nous avons la mainmise sur cette ‘‘D'lala'' que nous disputaient les jeunes de la cité ‘‘La Faïence''. Nous y écoulons maintenant tout ce qui peut se vendre», dira Yacine, qui négligera le fait qu'il s'agit en grande partie d'objets volés. Le «général» qui est craint par tous, s'octroie, pour lui seul, la grande part des dividendes provenant du fructueux commerce. Les autres membres se contentent, quant à eux, de ce que le «général» daigne bien leur céder, «l'argent sert habituellement à nous approvisionner en chira. Nous partageons néanmoins notre ration à tour de rôle», témoigne le jeune. A la cité PLM, dans la commune de Bourouba, les jeunes désœuvrés, comme Yacine, s'identifient de plus en plus aux groupes dont ils font partie. La culture du clan semble ainsi s'installer dans l'espace urbain, à l'image des gangs ethniques qui sévissent en Occident, car au fil du temps, ces associations de jeunes se structurent de manière rigoureuse et s'adonnent, en guise d'activité principale, au commerce illégal de la drogue. Elles se disputent alors les zones d'influence, ce qui est souvent un facteur déclencheur de conflits et de règlements de comptes. Le «général», qui a autorité sur la «D'lala», organise toutes les activités qui s'y déroulent. Il n'est, de ce fait, aucunement permis aux autres vendeurs d'y étaler leurs marchandises. Seuls les membres du groupe ont ce droit. Ils proposent à la vente des téléphones portables, des montres, de faux bijoux, des chaussures de sport, de l'outillage et même des animaux domestiques, tels que les chiens et les oiseaux. Le négoce se pratique d'une manière singulière. Les plus habiles des vendeurs s'ornent les mains d'objets dédiés à la vente, ils exhibent leurs membres telles des tentacules, où l'on peut contempler bagues et montres, mais aussi pantalons et chemises suspendus comme sur des cintres, «achhal ataou», (combien vous a-t-on donné), lance un acheteur, «mazal», (pas encore), réplique le vendeur. «Je vous donne 200 DA pour la montre», reprend l'acheteur, «Allah irrabah», conclut le marchand. Les transactions se déroulent ainsi, tout en gardant l'œil vigilant sur d'éventuels intrus. Toutefois, la bienfaisance chez ces jeunes délinquants a également une place. Ils permettent de temps à autre à des vieilles personnes d'étaler leurs marchandises dans un coin de la «D'lala», il s'agit principalement d'effets vestimentaires, de vieilleries et de tabac à chiquer. Hormis cet espace commercial, ces jeunes oisifs n'ont pas d'autres endroits où ils peuvent s'adonner à leur commerce. Les autres lieux dédiés à cette activité appartiennent à d'autres groupes de jeunes qui ont tout autant la mainmise sur eux. Les jeunes du quartier des «Abattoirs» font régner à leur tour leur loi sur leur espace commercial, qui se trouve à proximité du rail sous le pont de l'oued El Harrach. Une organisation similaire à celle de la première «D'lala» y est également ancrée dans les mœurs de ces jeunes vendeurs. C'est ainsi que la débrouille rime parfois avec la délinquance.