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Une forteresse sans fortune
À 50 KM de Bouira, Ath Mansour ou le mythe de prométhée
Publié dans El Watan le 22 - 01 - 2006

Une image naît de la contemplation de cette localité bâtie sur un rocher. Ath Mansour, ou comme on l'appelle encore Taourirt, à 50 km à l'est de Bouira, fait d'abord penser à une forteresse. De là haut, on se sent presque de plain-pied avec la montagne du Djurdjura en face. La vue est splendide et permet d'embrasser de vastes panoramas au Nord et au Sud. C'est la partie la plus fertile de la wilaya, irriguée par l'oued Sahel.
Au fond de la vallée, dominent les cultures maraîchères, mais au fur et à mesure que le terrain s'élève, c'est l'oléiculture qui prend le relais. A l'ouest, la pente moins abrupte touche du pied un épaisse forêt de résineux où dominent le pin d'Alep et le pin noir. Un sentiment de fierté doit animer en permanence les habitants de ces hauts lieux, garants de leur sécurité et de leur bien-être. L'air que l'on respire n'est-il pas souverainement léger et pur ? Chargé de l'odeur de résine lorsque le vent qui souffle de l'ouest a caressé les cimes des conifères, n'est-il pas un baume souverain pour les maladies respiratoires ? Cependant, une autre image surgit et se superpose la première à la vue de tant de détresse humaine qui étreint le cœur de la population : celle de Prométhée enchaîné à un rocher et se faisant dévorer le foie par un vautour, en signe d'expiation de sa révolte contre les dieux de l'Olympe. Si l'attachement profond à leur commune symbolise pour les habitants d'Ath Mansour les chaînes du géant insurgé contre l'Olympe, les problèmes sociaux (chômage, logement, AEP, transport, éclairage public...) incarnent le rapace le plus puissant et le plus redoutable pour ces mêmes habitants. Ce sont les deux images que nous apportons avec nous au terme de notre déplacement dans cette commune si déshéritée, et le désespoir qui naît de la dernière fait oublier le plaisir procuré par des vues panoramiques aussi émouvantes. Et l'on peut s'interroger légitimement sur le sort de ces citoyens pour savoir quand cessera ce calvaire lié à leur vécu de tous les jours.
Deux préoccupations majeures
Il est 14 h, lorsque nous prenons ce jour-là le chemin du siège de l'APC. Le ciel est gris, mais la douceur de l'air évoque une journée d'automne plutôt qu'une journée d'hiver. Les maisons qui bordent la rue taillée dans le roc sont basses et tout ce que l'on veut, sauf cossues. D'ailleurs combien sont-elles à mériter ce qualificatif ? Il faut aller sur l'autre versant pour en trouver quelques-unes et encore. Mais si l'idée de luxe demeure absolument étrangère autour de nous, celle qu'inspire le siège de l'APC, qu'aucun signe matériel ne signale à l'attention du visiteur, excite tout particulièrement la curiosité : est-ce en ces lieux à l'aspect aussi peu recommandable que se prennent ou plutôt se prenaient les décisions qui engageaient l'avenir de toute la commune ? L'emploi de l'imparfait se comprend, car les émeutes de Kabylie ont empêché les élections locales de se tenir le 10 octobre 2002 dans cette commune qui compte près de 12 000 habitants. Il a fallu attendre les élections partielles du 24 novembre 2005 pour que Ath Mansour se dote d'institutions élues au même titre que les autres communes. Mais ces élus peinent à travers le consensus nécessaire à la formation de leur assemblée au moment où nous y arrivons. Nous manquons de peu le P/APC qui nous aurait fourni d'utiles renseignements sur sa commune et surtout sur sa stratégie pour provoquer le déclic économique indispensable au rattrapage de 5 années de retard accumulées. En attendant son retour probable, nous amorçons un bref entretien avec un fonctionnaire de l'APC. Le prénommé Harrous commence par ce qui lui paraît être le problème le plus urgent. Il nous invite à le suivre aux lavabos et là, montrant un robinet, il l'ouvre : aucune goutte d'eau. Ici, explique alors notre homme, la distribution d'eau se fait une fois tous les dix jours et elle dure deux heures au plus. « En prévision de nos besoins, poursuit-il, nous ramenons de l'eau de chez nous. » A Ath Vouali, un village plus à l'Est encore, et qui compte quelque 4000 habitants, selon Harrous, il existe bien un château d'eau, mais qui n'a jamais reçu une seule goutte d'eau à ce jour. Roda, l'autre village d'égale importance, situé au Sud, connaît la même situation en matière d'AEP, selon notre interlocuteur. Revenus dans le bureau de l'employé communal, nos l'écoutons ensuite nous parler de la situation engendrée au niveau de la commune par ces pannes de courant répétées et prolongées. Quand celles-ci interviennent un mercredi, assure-t-il, il faut attendre le début de semaine pour espérer voir le courant se rétablir. Quand c'est au milieu de la semaine, le rétablissement se fait toujours dans les 24 heures, ajoutait-il. L'explication fournie à ce sujet par Sonelgaz, mais qui semble laisser incrédule Harrous, est que quand il y a surcharge de tension, elle est mal supportée par les postes de transfo. Celui d'Ath Vouali date de 1958 ! Quand on sait le bond démographique accompli depuis par la population, on est tout à fait fixé sur la nature de ces pannes et de leurs fréquences. Manifestant son ras-le-bol devant cette situation qui indiffère les autorités concernées, la population a recouru il y a deux ans à une action énergique ayant abouti à la fermeture du siège d'APC et de la RN 5. Pour rétablir l'ordre et le calme dans la commune, les autorités ont dû promettre tout ce que l'on voulait, y compris la construction d'un lycée et un pont sur Oued Sahel afin de permettre aux agriculteurs de rejoindre leurs terres sur l'autre rive en période de crues. La veille de la visite du ministre de l'Energie et des Mines sur l'agenda duquel figurait Ath Mansour à cause de la station de pompage du pétrole située un peu plus au Sud, les habitants victimes d'une panne qui les avait plongés la nuit précédente dans le noir, ont fait savoir aux autorités concernées que si le courant n'était pas rétabli le lendemain à 10 h, la RN5 serait bloquée et le ministre, Chakib Khelil empêché de passer. Craignant une émeute en présence de leur hôte de marque, les autorités ont dépêché sur les lieux une équipe d'agents de Sonelgaz qui ont aussitôt réparé la panne.
Le foncier, un écueil pour le développement
Pour Harrous comme pour Arezki, un fonctionnaire des P et T, venu se joindre à nous, toute politique de développement qui n'intègre pas dans sa stratégie l'élément du foncier, dans une commune, est vouée d'avance à l'échec. Et nos deux interlocuteurs de s'interroger sur la réussite des futurs programmes de développement quand la problématique du foncier à Ath Mansour se dresse comme un écueil face à toute velléité de démarrage. Ici, selon nos deux interlocuteurs, les terrains sont tous privés, et décider leurs propriétaires à les céder à la commune pour la doter d'un portefeuille foncier consiste pour l'Etat à les intéresser en y mettant les moyens. On connaît le problème de ces 35 familles nomades qui, vers 1965, se sont installées dans la commune d'Ath Mansour et sédentarisées. Pour trouver une assiette au projet RHP qui les concerne, les autorités ont planché sur la question pendant des mois et des mois avant de tomber sur un privé pour qui c'était certainement une aubaine de trouver un acquéreur qui veuille d'une parcelle située à la lisière d'une forêt. Au problème de l'isolement, s'ajoute celui de la nuisance de la pollution de l'air produite par les autres carrières d'agrégats installées aux quatre coins du site. Nous avons déjà eu l'occasion de dire un mot à ce sujet dans une de nos précédentes éditions - nous attirions l'attention des autorités sur les dangers présentés par ces carrières trop proches du terrain où vont être relogées ces familles. Enfin, nous quittons le bureau fort étroit de Harrous pour celui du secrétaire général. Celui-ci qui a su gérer dans les conditions que l'on sait la commune pendant cinq années en l'absence de tout élu reconnaît que la question du foncier est délicate, mais reste confiant en l'avenir de sa commune qui, avec la nouvelle équipe d'élus, va s'atteler à doter la commune d'un portefeuille fonction, condition sine qua non au lancement de tout projet entrant dans le cadre du développement rural. C'est ainsi que nous apprenons l'inscription d'un projet de lycée à Ath Mansour, d'un centre de santé et d'un réseau d'AEP pour 2006. C'est étrange de la part des autorités locales qui semblent oublier que le siège d'APC est en fait une ancienne cantine scolaire aménagée en bureaux. Ces derniers étroits communiquent par des couloirs plus exigus encore et plus sombres. L'urgence pour permettre au siège d'inspirer plus de confiance aux citoyens est d'en construire un plus digne des services qui s'y rendent chaque jour. Et qu'en est-il encore pour les programmes de logements sociaux, promotionnels, RHP ? Concernant l'AEP, le secrétaire général annonce la mise en service très prochaine de deux forages au profit exclusif des habitants d'Ath Mansour. Ceux de Ath Vouali et de Roda doivent s'armer de patience en attendant l'amenée d'eau pour la région à partir du barrage de Tilezdit. Une question de mois... Les premiers à pâtir de cette situation caractérisée par l'absence de projets porteurs de richesses et d'emplois, ce sont évidemment les jeunes chômeurs que le chiffre officiel estime à 3000. Quand bien même il serait exact, on devine la détresse d'une jeunesse confrontée à l'amertume d'une vie sans perspectives, et, par voie de conséquence, l'embarras des responsables qui pour toute solution n'ont que 70 postes d'emploi de jeunes à proposer. C'est normal, les jeunes qui se sentent livrés à leur sort de chômeurs ont les dents longues lorsqu'ils parlent de la façon avec laquelle leur commune est gérée. C'est normal aussi qu'en l'absence d'une politique réelle de prise en charge de leurs préoccupations (AEP, éclairage, transport, logement, soins, emploi, formation, etc.), ils se sentent mal dans leur peau. Pourtant, les émeutes qui ont mis à mal les localités voisines telles que M'chedellah, Raffour, Ahnif sont passées par là sans laisser de traces. On ne voit sur aucun mur un slogan du type : « Pouvoir assassin » par exemple ou de connotation politique. « Ici, comme nous confiait un jeune lors d'un précédent déplacement en ces lieux, on a marché, revendiqué, mais on n'a rien cassé. Car les premiers à en payer le prix, c'est évidemment les citoyens. » Le secrétaire général nous informe que notre visite coïncide avec la mise en service du gaz naturel. Le projet a connu un retard considérable, la première entreprise chargée de la réalisation ayant été contrainte à la résiliation du contrat. Mais voilà que ce qui aurait dû être un événement et susciter des réjouissances parmi la population n'a pas eu le retentissement escompté. Trop pauvres, la plupart des habitants n'ont pas pu se raccorder au réseau. A quoi aura alors servi cette mise en scène sinon à monter les dessous d'une politique qui n'a de social que le qualificatif qu'elle arbore à des fins démagogiques. Quant à nous, nous quittons Ath Mansour le cœur oppressé par le sentiment de tant de détresse et de misère. Nul mythe, nous semble-t-il, n'est plus approprié pour rendre compte de tant de souffrance que celui de Prométhée cloué sur son rocher, se faisant déchiqueter le foie par un vautour.


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