Une enquête du Ceneap, réalisée pour le compte de l'association Iqraa, a souligné que près de 93% des 6-14 ans ne suivent pas de formation professionnelle. Malgré les efforts du ministère qui chapeaute ce secteur, la formation professionnelle n'arrive pas à attirer les jeunes. A 18 ans, Imad a des yeux rieurs et des mots pleins d'humour. Mais, dès lors qu'on l'interroge sur ce qu'il compte faire de son avenir, le jeune garçon s'énerve, grommelle des phrases incompréhensibles et alimente le désarroi de sa mère. Ayant quitté l'école à 16 ans, âge maximal pour les recalés du système éducatif, il a difficilement atteint le niveau de sixième. Comme beaucoup de jeunes de son âge, il aime les belles voitures et rêve de posséder un jour une grosse cylindrée. Sa famille lui propose alors de tenter une formation de mécanicien. A l'école de formation professionnelle, on lui signifie que son niveau ne le lui permet pas, tout comme les formations de maçon, d'électricien ou d'informaticien. Une employée de l'école lui suggère de faire cuisinier ou pizzaïolo, que chacun ici prononce «pizzario». Lui ne se voit pas entamer une carrière de gargotier. En fait, aucune des filières qui lui sont proposées ne trouve grâce à ses yeux. Depuis que leur fils a quitté l'école, ses parents craignent de le voir fréquenter les bandes de jeunes du quartier, et de toucher à la drogue ou à l'alcool. «Le problème, c'est qu'il est en pleine crise d'adolescence. Il ne nous écoute pas et le fait qu'il soit exclu de l'école n'arrange pas les choses», nous dit son père. Comme Imad, des centaines de jeunes, exclus de l'école, tournent en rond. Selon les chiffres du Conseil national économique et Social (Cnes), près de 61% des enfants âgés de 16 à 18 ans sont dans la rue, faute de ne pas avoir trouvé une place dans la formation professionnelle ou tout autre possibilité de préparation à l'emploi. Le ministre de la Formation professionnelle, lui-même, avoue son impuissance : les inscriptions ont connu une baisse par rapport aux années précédentes. Les écoles ont un vide de 150 000 places qu'elles n'arrivent pas à combler. Une enquête du Ceneap, réalisée pour le compte de l'association Iqraa, a souligné que près de 93% des 6-14 ans ne suivent pas de formation professionnelle. «Le problème réside dans le fait qu'il n'existe pas de structures adéquates pour accueillir cette tranche d'âge. On croit souvent que ce sont des cas marginaux. Or, on parle en général de 400 000 à 500 000 élèves qui quittent le système scolaire chaque année», explique Saïd Benmerad, l'un des auteurs de l' étude en question. Une perspective à l'horizon Officiellement, Imad n'est pas comptabilisé dans les chiffres des déperditions scolaires. Le ministère de l'Education considère que sa mission consiste à garder les enfants à l'école jusqu'à l'âge de 16 ans. Les ambitions des scolarisés semblent même démesurées pour le ministre de l'Education, Boubekeur Benbouzid. «Les Algériens veulent tous être docteurs. Ce n'est pas possible. Un ingénieur gagne moins qu'un spécialiste en plomberie», a-t-il souligné. Quoi qu'en dise le ministre, Imad vit mal son échec scolaire. «C'est d'autant plus difficile que tous ses frères et sœurs ont eu leur bac et ont un emploi, il se voit comme le raté de la famille», dit sa mère. Ayant une maigre retraite, son père n'a pas les moyens de lui payer des cours dans une école privée. Et Imad décline l'idée de l'enseignement à distance. «De toute manière, l'école n'a jamais été mon truc», nous dit-il. Les choses auraient peut-être été plus faciles à gérer s'il y avait des salles de sport, un centre de loisirs dans lequel il pourrait se dépenser, au lieu de ruminer son infortune. «La formation professionnelle, supposée offrir une alternative aux flux des malchanceux de l'école, ne peut répondre annuellement qu'à moins de 48% de la demande. Ces jeunes ne peuvent même pas prétendre à des espaces de loisirs ou de sport pour noyer leur chagrin ou se détourner des idées sombres (à peine 7% des jeunes et moins de 4,5% des enfants scolarisés sont affiliés à des associations sportives ou adhèrent à des associations de jeunesse)», constate ainsi Mustapha Khiati, président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem). Au lieu de faire une formation, Imad préférerait entrer directement dans la vie active. Il dit connaître quelqu'un qui arrive à se débrouiller, en écoulant diverses marchandises. Tout en avouant ne pas maîtriser parfaitement les mécanismes de l'informel, il estime que c'est le meilleur moyen de se faire un peu d'argent pour pouvoir se lancer dans un projet plus sérieux. «Bien sûr que j'aimerais faire quelque chose pour aider ma famille. Contrairement à ce que pensent mes parents, je réfléchis à mon avenir», assure-t-il. A son père qui ne cesse de le houspiller sur le fait que les jeunes d'aujourd'hui sont avides de gain facile et rechignent à retrousser les manches, il répond qu'il ne sert à rien de travailler dur toute sa vie pour se retrouver au même point. «Les anciens ont trimé toute leur vie pour quelques sous. Je ne veux pas de cette vie», lance-t-il. Même si tout cela est très embrouillé dans sa tête, il dit avoir une idée de ce qu'il veut faire de sa vie. Son décrochage scolaire ne constitue pas, à ses yeux, un handicap à sa réussite. Il argumente en disant que les études ne prémunissent pas contre le chômage. En attendant des jours meilleurs, il s'occupe, comme il peut, à gérer son ennui…