Le discours du Chef suprême des forces armées (CSFA), le maréchal Hussein Tantaoui, de mardi soir, n'a pu ramener le calme en Egypte. Les heurts ont repris, hier en début de soirée, à la place Tahrir, où les manifestants avaient passé la nuit. Les jeunes se dirigeaient par milliers pour occuper la place Tahrir pour une deuxième nuit consécutive, alors que le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Navi Pillay, a appelé, hier, à une enquête indépendante sur ces violences contre des manifestants. «J'invite les autorités égyptiennes à ne plus faire usage de violence contre les manifestants de la place Tahrir et, d'ailleurs, à ne plus utiliser les bombes lacrymogènes, les balles en caoutchouc et les balles réelles», a indiqué un communiqué de l'Organisation. L'évolution des événements fait craindre le pire. La classe politique cairote retient son souffle et appréhende des développements qui peuvent retarder le processus de transition vers la démocratie. L'armée, qui dirige le pays depuis la chute de Moubarak, a perdu de sa crédibilité après l'assassinat d'une trentaine de jeunes. Les populations lui font porter la responsabilité. Ces événements surviennent à quatre jours de la tenue des premières élections démocratiques dans le pays. Ce qui annonce une transition longue et tortueuse. Des voix s'élèvent d'ores et déjà pour exiger le report des élections législatives prévues pour lundi prochain. C'est le cas du parti de Wafd et de la figure de proue de l'opposition, l'ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed El Baradei. La démission du gouvernement de Issam Charaf, à quelques jours de cette échéance électorale, rend la situation plus complexe. Le Parti de la liberté et de la justice, bras politique de la confrérie des Frères musulmans, quant à lui, réclame le respect du calendrier électoral. D'où une prise de distance par rapport aux appels des manifestations. Ils sont les grands perdants dans ce nouveau bras de fer engagé entre le Conseil suprême des forces armées et les manifestants. «Ces événements sont survenus suite à un accord tacite entre les militaires et les Frères musulmans. En pactisant avec les Frères musulmans, l'armée voulait se mettre à l'abri de la colère de la rue, pensant que ‘les frères' contrôlent la rue, mais ces derniers exercent des pressions sur le Conseil suprême de l'armée pour satisfaire leur demande quitte à en exclure les autres forces politiques», analyse Karem Mahmoud, secrétaire général du Syndicat des journalistes égyptiens. Pour lui, il est nécessaire «d'ajourner la tenue des élections, de remettre le pouvoir soit à un gouvernement de salut national ou bien à la Cour constitutionnelle. Le Conseil suprême de l'armée doit quitter le pouvoir très rapidement», estime Karem Mahmoud. Devant ce cafouillage politique, l'idée de la mise en place d'un gouvernement de salut national avec de larges prérogatives fait son chemin. Mais le temps presse. Le nom de Mohamed El Baradei est avancé pour diriger ce gouvernement. Pas si sûr. S'il accepte ce poste, ses chances pour la présidentielle risquent de s'amenuiser en cas d'échec dans la gestion de cette période de crise. Mais pour l'instant, rien d'officiel. Le CSFA garde son seul scénario. Tenir les élections législatives dans les délais fixés. Et si la tension ne baisse pas, le risque d'un dérapage est possible. En somme, l'épreuve des urnes qui devait être un passage vers la démocratie s'avère une étape pas si facile à atteindre en Egypte, contrairement à la Tunisie.