L'Agérie a perdu 7 rangs au classement de Transparency International (TI) paru ce 1er décembre. Elle est classée en 112e position sur les 183 pays évalués. Les critères de ce type de «ranking» et leur fiabilité sont bien sûr toujours discutables. Il donne toutefois une indication générale. Gouvernance non vertueuse. Plus loin dans le classement, elle deviendrait «mafieuse». Tout n'est donc pas désespérant. La chambre d'accusation du tribunal d'Alger vient d'ailleurs d'inculper et d'envoyer en procès, cinq entreprises étrangères pour corruption active. Signe, au moins que le ministère public gagne en audace. Face aux parties extérieures au système. Personne ne pourra d'ailleurs écrire qu'il s'agit d'un complot anti-chinois. CRCC-Citic, le consortium chinois, qui tient la vedette dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest est, dans le box, en compagnie d'un florilège de nationalités : le japonais Cojaal, - tronçon est de l'autoroute toujours inachevée – L'italienne Pizzarotti (tramway de Constantine), la suisse Garaventa (Téléphériques) et la française Alstom (tramways). Le classement de TI vient contredire les efforts déclarés du gouvernement algérien pour contenir le feu des grands scandales de corruption. Le ministère de la Justice organise même une journée d'étude sur le sujet le 9 décembre, avec des invités de la société civile peu suspects de complaisance vis-à-vis des turpitudes du système algérien. Tout n'est donc pas désespérant. Il reste que le pays et le monde ne perçoivent rien du «grand sursaut» officiel contre la corruption. A juste raison. Deux grands électrochocs sont nécessaires pour cela. L'un en aval, dans la répression de la corruption. L'autre en amont, dans sa prévention. Les années Bouteflika n'ont pas été et ne sont pas, pour ce qu'il leur reste, politiquement en mesure de produire ces électrochocs. Le premier est bien sur la poursuite pénale des responsables à un niveau politique mis en accusation dans un scandale de corruption. Au minimum, la prise de mesures conservatoires qui les écarte de la responsabilité en attendant la possibilité pour eux de se disculper dans une procédure judiciaire à charge et à décharge. De ce point de vue, le procès Khalifa a envoyé un signal désastreux à la communauté émargeant aux pots-de-vin. Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA à ce jour, n'a jamais été poursuivi, par le parquet, pour un faux qui a coûté 12 milliards de dinars à la CNAS. Mourad Medelci, visage de l'Algérie dans le monde, n'a pas été sanctionné politiquement, alors qu'en tant que ministre des Finances, il a «oublié» de suspendre Khalifa Bank pour des infractions avérées à la législation des changes en 2000 et 2001, présentées dans un rapport circonstancié par un vice gouverneur de la Banque d'Algérie. Préjudice : 1,6 milliard de dollars. Les années suivantes, celles du pétrole à plus de 80 dollars et des méga-contrats d'infrastructure, étaient engagées sur ces bases permissives. La justice a écouté la semaine dernière Amar Ghoul, l'inamovible ministre des Travaux publics. Il est accusé par un homme d'affaires, Sid Ahmed Addou, d'avoir recouru à son intermédiation «pour négocier» des commissions auprès de la société française Egis (maîtrise d'œuvres). Mohamed Khelladi, directeur des nouveaux projets à l'Agence nationale des autoroutes (ANA), va plus loin et égrène, devant le juge d'instruction, une série d'accusations graves contre le ministre, qui s'en est défendu. C'est Khelladi qui est en détention préventive. Le ministre n'est peut-être pas corrompu, mais il ne peut pas être ministre en attendant que le doute soit levé. D'autant que des faits de corruption liés à l'obtention puis à l'exécution du contrat sont maintenant reconnus par des prévenus dans le scandale. Amar Ghoul, protégé du système, dans une affaire qui a rendu l'autoroute Est-Ouest plus cher d'au moins 200 millions d'euros ? Simple pare-feu. L'étage suivant menacé se rapproche trop du périmètre présidentiel. Il s'agit de Abdelatif Benachenhou, de Mohamed Bedjaoui et bien sûr de l'inévitable Chakib Khelil, trois anciens ministres du «clan présidentiel» cités dans la procédure judiciaire pour avoir discuté avec le très peu recommandable homme d'affaires français Pierre Falcone, en mission pour les Chinois sur «ce contrat du siècle», selon les accusateurs entendus par le juge d'instruction. La justice n'ira pas plus haut. Tout n'est pas désespérant, mais un peu quand même. Le statut non constitutionnel d'immunisé de la République réservé à Chakib Khelil, tétanise à lui seul, aux yeux des Algériens, et des étrangers qui les observent, toute l'agitation au sujet de la lutte contre «El fassad». Le président Bouteflika a préféré, en 2006, dissoudre à perte BRC la joint venture d'engineering de Sonatrach et des Américains de KBR, plutôt que laisser la fumée remonter à son ami ministre de l'Energie et des Mines. Dans le scandale Sonatrach (janvier 2010), il était difficile de procéder pareille. La «justice» s'est chargée alors de tailler les coupe-feu. Le ministre fétiche des années pots-de-vin n'est toujours pas entendu, alors que les récits de plusieurs prévenus dans cette affaire nécessitent son audition «au moins comme témoin assisté», selon la formule d'un avocat. Pour l'électrochoc en aval, une charrette de ministres devant le juge en pénal. Pour l'amont, cela est plus facile. L'Algérie devrait établir sa «black liste» des sociétés étrangères et algériennes condamnées pour des faits de corruption active et la rendre publique. Avec interdiction d'accéder à des marchés publics pour 5 ans ou plus, selon la gravité des antécédents. Une mesure qui aurait, par exemple, évité d'octroyer la construction de la Grande Mosquée d'Alger au consortium chinois Cscec, radié, pour cause de corruption active, pour 5 années par la Banque mondiale des marchés qu'elles financent. Et éviter de marquer encore contre son camp dans le classement Transparency.