Les grands pays exportateurs sont accusés par Transparency International de « pratiques douteuses » qui compromettent le développement. D'après l'Indice de corruption des pays exportateurs (ICPE) 2006, rendu public hier à Berlin et Bruxelles, les grandes firmes exportatrices versent des pots-de-vin à l'étranger. Elles passent outre les instruments internationaux de lutte contre la corruption qui pénalisent ces pratiques. Les sociétés qui versent des pots-de-vin compromettent les efforts réels des gouvernements des pays en développement pour améliorer la gouvernance et entretiennent ainsi le cercle vicieux de la pauvreté », affirme Huguette Labelle, présidente de Transparency International (TI) dont le siège est à Berlin, en Allemagne. L'ICPE évalue la tendance d'une trentaine d'entreprises des plus grands pays exportateurs à verser des pots-de-vin à l'étranger. Pour réaliser l'enquête, TI a interrogé 11 000 hommes et femmes d'affaires de 125 pays. Selon l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), 70 chefs d'entreprise ont été interrogés en Algérie. Ces derniers devaient répondre à deux questions : « Parmi les pays ci-dessous (une liste de 30 pays), veuillez sélectionner la nationalité des entreprises étrangères les plus actives dans votre pays » et « d'après votre expérience, dans quelle mesure les entreprises des pays que vous avez sélectionnés versent-elles des paiements occultes ou des pots-de-vin ? » Un tableau est dressé par TI et fait ressortir « un classement sans vainqueur ». La Suisse, meilleur pays classé, n'a que 7,8 points sur 10. Un score de 10 indique une absence totale de corruption tandis qu'un zéro implique que la corruption est considérée comme endémique. La Suède, l'Australie, l'Autriche, le Canada, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont bien classés. « L'Inde, la Chine et la Russie sont en queue de classement de l'ICPE de TI. L'Inde obtient invariablement le plus mauvais score parmi la plupart des régions et sous-groupes. La Chine est le quatrième plus grand exportateur mondial et occupe l'avant-dernière place du classement », observe TI dans son rapport. Les enquêteurs de TI ont remarqué qu'en Afrique, les personnes interrogées ont désigné les sociétés françaises et italiennes comme le plus souvent à l'origine des pratiques de corruption. « Les entreprises étrangères qui enfreignent la loi en versant des pots-de-vin ébranlent les efforts de lutte contre la pauvreté du continent africain. Les pays africains devraient les poursuivre implacablement en justice. Les institutions régionales d'aide au développement telles que la Banque africaine de développement peuvent jouer un rôle important en mettant en œuvre des programmes d'exclusion qui empêchent les entreprises corrompues de profiter de l'aide au développement alors que les pauvres restent sur la touche », déclare le directeur régional pour l'Afrique de TI, Casey Kelso. L'Afrique du Sud est le seul pays du continent classé dans le tableau de TI, placé à la 24e position, derrière l'Arabie Saoudite et le Brésil et juste devant la Malaisie et Taïwan. Israël partage sa place avec Hong Kong à la 18e position. La France occupe la 15e place juste derrière les Emirats arabes unis. Les entreprises des Emirats deviennent, grâce à ce classement, les moins enclines à verser dans la corruption de toute la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Transparency International estime que l'Inde, la Chine et la Russie doivent s'engager à respecter les dispositions de la convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la lutte contre la corruption et de « contribuer à la vitalité des marchés de demain ». Un bilan décourageant La convention de l'OCDE est applicable depuis 2003. N'empêche, David Nussbaum, directeur général de TI, relève que la lecture du bilan de l'application de la législation internationale contre la corruption paraît décourageante. « Nombre de pays ont créé des lois nationales suite à l'adoption des conventions des Nations unies et de l'OCDE contre la corruption, mais leur application et la garantie de leur respect continuent de poser de sérieux problèmes », estime David Nussbaum. TI observe que les Etats-Unis, qui avaient adopté une loi sur la corruption étrangère (Foreign Corrupt Practices Act) en 1977, devraient arriver en tête de classement « mais se placent derrière un grand nombre de pays ». L'ONG souligne également le fait que le Royaume-Uni s'est montré peu enclin à faire appliquer la convention de l'OCDE, « malgré des scandales impliquant des entreprises telles que British Aerospace ». TI parle aussi de l'australien Wheat Board (exportation du blé) impliqué dans le scandale du programme onusien « Pétrole contre nourriture » et de la firme automobile germano-américaine DaimlerChrysler qui a reconnu l'existence de « paiements déplacés » réalisés par des membres de son personnel en Afrique, en Asie et en Europe de l'Est. Souvent, les filiales des multinationales sont citées dans le recours aux pots-de-vin et pas les entreprises-mères. Transparency estime que les multinationales ne peuvent être déliées des activités corrompues de leurs succursales, filiales ou agents à l'étranger et « doivent procéder à tous les contrôles nécessaires » avant de s'engager dans une coentreprise ou une alliance avec des partenaires. « Quelle lecture peut-on faire de ces résultats par rapport à l'ampleur de la corruption en Algérie, notamment dans ses relations économiques et commerciales internationales ? », s'interroge l'AACC que dirige Djillali Hadjadj et qui représente Transparency en Algérie. L'association relève que les principaux clients et fournisseurs de l'Algérie sont mal classés : l'Allemagne, les Etats-Unis, l'Espagne, la France et l'Italie. « Parmi les pays exportateurs dits émergents et fournisseurs importants de l'Algérie, on en retrouve trois qui sont très mal classés : la Corée du Sud, 21e place, la Turquie 27e et la Chine 29e, soit l'avant-dernière place. Faut-il croire que l'Algérie choisit surtout de commercer avec les pays dont les entreprises n'hésitent pas à verser des pots-de-vin pour obtenir des marchés ? », s'interroge AACC. Les résultats de l'ICPE 2006 ne sont pas surprenants, aux yeux de la section algérienne de TI, au vu de l'explosion, ces dernières années, des recettes des pays producteurs de pétrole et qui, comme l'Algérie, ont vu le montant de leurs importations se multiplier par deux. « Ces pays, devenus gros importateurs de biens et services, ont certainement contribué à l'augmentation des pots-de-vin et à la surfacturation des offres faites par les entreprises étrangères, entreprises qui ont été confrontées à une très forte concurrence et à de très fortes demandes de pots-de-vin en contrepartie de l'obtention de marchés », est-il observé. L'AACC reproche aux autorités le recours « officialisé » aux contrats de type gré à gré, reconnus peu transparents.