On pensait que la fraude électorale était le fait exclusif des pays de l'hémisphère Sud gouvernés par des régimes autocratiques et dictatoriaux, et voilà que la Russie, qui côtoie les pays les plus riches de la planète au sein du G8, est la cible de vives critiques à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Le tandem Medvedev-Poutine qui prépare, sûr de sa bonne étoile, la succession à la présidence de la République selon un grossier procédé d'alternance-maison, vient de s'illustrer par l'organisation d'une parodie électorale à l'occasion de la tenue, dimanche 4 décembre, des législatives en Russie. Ces élections remportées par le parti de Poutine, Russie unie, grâce à une fraude massive dénoncée par l'OSCE qui a relevé de «fréquentes violations» et de «sérieuses indications de bourrage des urnes» ont provoqué, dans plusieurs villes du pays, des mouvements de contestation de rue violemment réprimés par la police et l'armée. C'est le cas notamment à Moscou, où près de 10 000 manifestants, selon les organisateurs – 2000, selon la police – se sont rassemblés avant de tenter de marcher vers le siège de la commission électorale, où ils se sont heurtés aux forces de sécurité qui ont interpellé près de 300 manifestants, dont le très populaire blogueur anticorruption Alexeï Navalny. D'autres grandes villes de Russie, à l'instar de Saint-Pétersbourg, se sont jointes également au mouvement de protestation pour dénoncer le hold-up électoral dont le scénario fut écrit et mis en œuvre à la faveur de la révision de la Constitution russe qui a mis en coupe réglée les modalités d'alternance en permettant à Poutine de revenir au pouvoir – qu'il n'a jamais cédé, en vérité, même en acceptant le poste de Premier ministre de son dauphin Medvedev. «Russie sans Poutine», «Poutine doit aller en prison» : les mots d'ordre scandés par les manifestants, emmenés par les jeunes des réseaux sociaux, furent sans concession. Les capitales occidentales, si promptes à dénoncer le non-respect de la volonté populaire ailleurs, dans les pays en développement – quoique les réactions soient toujours modulées en fonction de leurs intérêts et de leur proximité avec les régimes en place –affichent paradoxalement des positions plutôt embarrassées. La Russie, qui siège au Conseil de sécurité et qui détient les clés de la sécurité des approvisionnements gaziers de l'Europe à travers son mégaprojet transeuropéen, n'est pas la dernière République bananière dont l'ambassadeur est convoqué sans sourciller au ministère des Affaires étrangères, dans les capitales occidentales, pour s'expliquer sur la moindre violation des libertés et des droits de l'homme dans son pays. Entre grands de ce monde, les notions de démocratie et de respect des suffrages populaires ne semblent pas avoir la même teneur et répondre aux mêmes standards exigés d'autres Etats qui ne pèsent pas lourd sur l'échiquier mondial. Les réactions enregistrées à Paris, Londres, Berlin… se sont limitées à des réserves exprimées du bout des lèvres destinées beaucoup plus à leurs opinions. De là à imaginer des sanctions contre le pouvoir russe, il n'y a qu'un pas que les Occidentaux ne franchiront jamais.