Abdelkader Benarab est un écrivain et chercheur algérien qui vit en France. Il est directeur de la collection Voix exilées aux éditions Gnosis-Editions de France, depuis 2010. Docteur en littérature française à la Sorbonne, il travaille sur l'immigration et les questions qui touchent à l'identité et aux langues maternelles. Il revient dans cet entretien sur son dernier essai consacré à Frantz Fanon. -Vous venez d'éditer à l'occasion du 50e anniversaire de la mort de Frantz Fanon votre sixième livre consacré à cette figure emblématique… Il est vrai qu'avec Frantz Fanon, l'homme de rupture, je signe là mon sixième livre à l'occasion de la commémoration du 50e anniversaire de la mort de Frantz Fanon. C'était un fabuleux homme qui n'a, hélas, pas connu l'indépendance. J'ai commencé à écrire primitivement. Au départ, j'avais rédigé un article sur Frantz Fanon dans les colonnes d'un journal national francophone. L'article en question a été repris par un autre titre de la presse nationale. En 2010, certains responsables de l'institut de Dakar ont lu l'article en question et m'ont demandé d'élargir le papier afin d'en faire une plaquette pour le distribuer. J'ai donc tout repris à zéro. Il s'agit d'un travail de recherche biographique sur l'œuvre de Frantz Fanon et sur sa pratique médicale, puisqu'il était médecin psychiatre à l'hôpital Joinville de Blida. -Dans votre essai, vous schématisez l'idée de Frantz Fanon en trois dimensions distinctes... Grossièrement, je schématise l'idée de Fanon. Ce dernier était un personnage atypique. Il regroupe en lui, en effet, trois dimensions : l'intellectuel, le militant et le praticien. Ces trois dimensions se retrouvent en lui et se regroupent. Rappelons au passage que Frantz Fanon est venu en Algérie en 1953 en tant que psychiatre, mais pas en tant que révolutionnaire. Il a été très choqué par les méthodes pratiquées par une psychiatrie coloniale, désuète. A titre d'exemple, on séparait les malades. Le regretté psychiatre a remis en cause ces pratiques médicales. Je reviens donc dans mon ouvrage sur le parcours et l'œuvre de ce grand homme. Dans mon livre, je mets également l'accent sur sa participation active au sein de l'organe du FLN. Il était rédacteur en chef au quotidien El Moudjahid, organe du FLN. En tant qu'ambassadeur du GPRA, il a représenté l'Algérie au Ghana. Frantz Fanon, l'homme de rupture, est un livre de mémoire et de référence. Le troisième côté, c'est l'intellectuel qui a des œuvres majeures dont, entre autres, Les Damnés de la terre, paru à quelques jours de sa mort en 1961. Il demeure l'Evangile du tiers-monde. Il demeure la véritable Bible des peuples colonisés. Plusieurs peuples se sont inspirés de son œuvre. Quelque 20 ans après, son œuvre n'a jamais été oubliée. La preuve : plusieurs universités anglo-saxonnes, américaines ainsi que de grands chercheurs indiens s'intéressent à son œuvre dans laquelle on a établi des théories post-coloniales dans le sens d'une relecture de l'histoire. Son œuvre reste une source d'inspiration intarissable. Nous pouvons faire le lien avec les révolutions arabes, puisque dans son œuvre il parle de cette transition. Il s'était interrogé de savoir que quand les colons partiront, est-ce que les pouvoirs en place seront à même d'assurer cette transition avec notamment une bonne gestion et un rapport sain avec le peuple ? Il avait, à l'époque, prévu tout cela. C'était un véritable visionnaire. Quand on analyse tous ces côtés et ces manifestations et révoltes, on se rend compte que la transition n'a pas été véritablement assurée et réussie. -Votre essai est d'abord sorti en France aux éditions alfAbarre en 2010, comment expliquez-vous cette réédition tardive d'une année en Algérie ? J'ai eu la chance d'avoir une coédition algérienne Je l'ai édité à l'étranger, car je vis à l'étranger. Le choix de l'édition est venu comme cela. Nous autres universitaires, nous travaillons pour que cette œuvre soit reconnue à l'étranger. Car Frantz Fanon est un homme atypique. Il dépend de trois pays, la France, la Martinique et l'Algérie. Cependant, il n'appartient à aucun de ces trois espaces. La France l'a rejeté, car elle l'assimilait à un anticolonialiste. La Martinique incarne l'assimilation. Lui était contre cette assimilation. Quant à l'Algérie, elle l'a adopté, puisque lui-même est venu en Algérie et a choisi de mourir ici à El Tarf. J'ai choisi d'éditer cet essai au niveau de la maison d'édition algérienne Bahaeddine pour, justement, le faire connaître aux générations qui ne connaissent pas Fanon.