Mort et ressuscité. Vingt ans après le raz-de-marée du Front islamique du salut (législatives de décembre 1991), l'histoire convulse à nouveau. «Les prochains scrutins seront gagnés par les islamistes», une «certitude», promet l'avocat des droits de l'homme, Me Miloud Brahimi. «Elle est inéluctable et il faut s'y préparer», dit-il. Après Rabat, Tunis, Tripoli et Le Caire, la «vague verte» atteindra bientôt Alger, prédit l'avocat, fondateur de la ligue «officielle» des droits de l'homme en 1987. «Nous aurons certainement des islamistes soft au pouvoir, dans un premier temps, car, après, on n'en sait rien. Et sauf à vouloir reprendre la marche vers l'abîme, il est temps de mettre en place des garde-fous constitutionnels pour garantir le système démocratique, comme cela a été fait en Turquie sous Mustafa Kemal Atatürk. Je ne vois pas d'autre solution que celle-là.» Les «révolutions arabes», au parfum de musc, ont ressuscité de sa belle mort le vieux «rêve» de la Daoula islmia (Etat islamique), caressé par plusieurs générations d'islamistes algériens. Grisés par le succès des partis islamistes au Maghreb et en Egypte, évacuant, décomplexés, sans état d'âme et éludant leur responsabilité dans la tragédie nationale, les islamistes «modérés» occupent la scène, exercent un véritable forcing médiatique. Abdallah Djaballah, «mouton noir» de la mouvance des Frères musulmans et président du Front pour la justice et le développement (FJD) – en attente d'agrément – croit en sa bonne étoile et se dit prêt «à prendre le pouvoir». Se sachant désormais pièce maîtresse dans la nouvelle configuration du champ politique, le fondateur du parti Nahda, puis Islah, dont il a été évincé par le pouvoir, joue de son image d'«incorruptible» et lorgne la base de l'ex-FIS. Un réservoir électoral que d'aucuns estiment en chute libre. Entre les élections locales de juin 1990 et le premier tour des législatives de 1991, le FIS a perdu près d'un million de voix au profit de Nahda et Hamas. Bouguerra Soltani, le gourou du Mouvement de la société pour la paix (MSP) est persuadé que «ce qui se passe dans le monde arabe montre que les peuples veulent être gouvernés par les islamistes». Arrivée deuxième force politique lors des élections législatives de 1997 – entachées de fraude massive – le MSP, filiale algérienne de l'Internationale des Frères musulmans, devenu parti croupion, membre de l'Alliance au pouvoir, veut s'imposer désormais comme la déclinaison algérienne de l'AKP turque, le modèle achevé de l'islamisme «light», «moderniste» et «pro-américain». Si certains analystes créditent d'ores et déjà les islamistes «modérés» d'une victoire certaine, d'autres estiment que l'émiettement de la mouvance islamiste et l'expérience de ces partis au pouvoir joueront en leur défaveur. Corruption, abus de pouvoir, affairisme, le crédit de ce courant islamiste entriste est largement entamé. L'islamisation par le haut «Bien qu'ils disposent de moyens financiers considérables et de réseaux efficaces, affirme H'mida Layachi, ces islamistes n'ont aucune crédibilité auprès de l'opinion.» Le journaliste et spécialiste des mouvements islamistes ne s'attend pas à une déferlante islamiste même si, souligne-t-il, les «climats interne et externe sont plus que jamais favorables» pour l'avènement d'un tel scénario. L'extinction graduelle de l'espèce des «janviéristes», la crise mystique affectant le sommet de l'Etat, l'islamisation rampante de la haute hiérarchie militaire, notamment des «services», couplées au poids de plus en plus important des mouvements salafistes sont autant d'arguments plaidant pour une victoire islamiste, avoue H'mida Layachi. «Nous serions vraisemblablement dans les mêmes scores électoraux obtenus par le PJD marocain et Ennahda en Tunisie, des taux ne dépassant pas le tiers des sièges aux assemblées élues.» «A moins, ajoute-t-il ironiquement, que le pouvoir veuille à tout prix offrir à ces islamistes une majorité confortable, auquel cas, il doit avoir recours à la fraude chirurgicale ou bien composer avec certains courants islamistes écartés jusque-là de la scène politique.» Le pouvoir envisage, selon lui, une alliance entre nationalistes et islamistes radicaux tels qu'Anouar Heddam et à un degré moindre Abdallah Djaballah. Mais la grande inconnue pour les prochains scrutins demeure, d'après le spécialiste, le poids réel de la salafia, l'idéologie polico-religieuse, prônant une lecture littéraliste et puritaine de l'Islam et constituée d'une mouvance piétiste, traditionaliste et d'une mouvance djihadiste. Mosquée Al Hidia Al Islamia. Comme tous les dimanches, dans une librairie attenante à la mosquée, cheikh Ali Ferkous fait la leçon à des imams et étudiants en sciences islamiques venus par dizaines boire ses paroles. Professeur à l'université des sciences islamiques du Caroubier, le cheikh fait figure de référence en matière de la doctrine salafia, la matrice idéologique du wahhabisme, prônant un retour aux sources de l'Islam, un Islam rigoriste. Le fils de Vieux Kouba, reconnu par ses pairs ulémas d'Arabie Saoudite où il a fait ses études (à Médine), a peu de temps à consacrer à ses visiteurs. Signe d'influence qui ne trompe pas, une de ses dernières fatwas a fait reculer le ministre de l'Intérieur sur sa décision d'imposer pour la photo biométrique, l'atténuation de la barbe des hommes et le retrait du voile de la femme. Ferkous récuse que la presse le désigne comme le «chef» de la salfia ilmia (piétiste) en Algérie, refuse qu'on le catalogue de salafi, car, pour lui, il n'y a qu'un seul «Islam». Pour le prédicateur, «seule compte sa mission d'instruction, d'éclaireur des questions de foi. Pas la politique». Ferkous avouera volontiers sa préférence pour le califat, le système politique islamique, sans pour autant en faire un programme politique. L'Islam est, à ses dires, non soluble dans le système de démocratie libérale. L'avènement de ce courant remonte à la création de l'Association des oulémas. Le «premier» des salafistes, rappelle le chercheur et spécialiste de l'islamisme, Sadek Slaymi, fut cheikh Tayeb El Okbi, un des fondateurs des oulémas, venu de l'Arabie wahhabite après avoir vécu vingt-cinq ans en Arabie Saoudite. Slaymi est alarmé par l'avancée fulgurante de ce courant au sein de la société, recrutant l'essentiel de ses troupes dans les «milieux défavorisés, parmi les semi-analphabètes, faciles à embobiner avec un discours sur Ahl sunna et sur le retour à l'Islam pur». Citant un cadre du ministère des Affaires religieuses, Slaymi affirme que près de «90% des mosquées de l'Algérie, qui dispensaient autrefois un Islam malékite, sont désormais contrôlées par des salafistes». Pour ce spécialiste, le discours produit par la salafia ilmia, quant à l'obligation d'obéir au gouvernant, explique le fait que le pouvoir a laissé se développer ce courant, car «il voit en lui un allié objectif». «En réalité, ajoute-t-il, il n'existe pas de différence entre les courants salafistes, ‘‘salafia ilmia'', ou «salafia djihadia'', c'est du pareil au même. Les deux courants exécutent une sorte de ‘‘jeu de rôle''. Les salafistes au maquis maintenaient une pression armée et ceux immergés dans la société en tirent les dividendes. Ils appellent ça la taqqya. Ils cachent leur jeu et ne disent jamais ce qu'ils pensent.»