«Zid avanci chouiya, braqui à gauche, voilà, stop, c'est bon !» Ces mots, c'est la langue de Zaki. Son outil de travail, pourrait-on dire. Zaki, c'est le «gareur en chef» de la rue Mohamed Chaâbani, une rue située en contrebas du marché de Meissonnier, et à quelques encablures de l'entrée supérieure de l'hôpital Mustapha. Un de ces nombreux trottoirs de la capitale devenus une filière de «l'emploi-jeunes». N'y manque qu'un prêt Ansej. «Cela fait 7 ans que je fais ce métier», confie Zaki. «Ça a commencé tout à fait par hasard. J'étais chômeur à l'époque, je ‘‘tenais un mur'', ici, à Meissonnier, quand une jeune femme est venue stationner. Je l'ai un peu orientée pour garer convenablement sa voiture et elle m'a tendu une pièce de 50 DA. J'ai refusé de la prendre mais elle a insisté. Juste après, un autre type est venu, je l'ai aidé à garer son véhicule et il a fait pareil. Après, les gens du quartier m'ont fait confiance et j'ai pris ça au sérieux.» Comme tous les tenants des parkings informels, Zaki nous apprend qu'il n'a pas eu besoin d'une autorisation spéciale pour lancer son activité. Parcmètre humain Les jeunes viennent, squattent un trottoir et font payer les automobilistes qui, de leur côté, jouent le jeu la plupart du temps, les uns pour trouver rapidement une place, las de tourner en rond pendant des heures, les autres par prudence, en espérant ne pas avoir une mauvaise surprise en remontant dans leur véhicule. Zaki a 28 ans. Un t-shirt aux couleurs du Barça floqué «Iniesta», la tête coiffée d'une casquette rouge et une pépite en toc scintillant à l'oreille, c'est notre «parcmètre humain». Ayant arrêté ses études en 9e AF, Zaki a chômé un bon moment avant que cette aubaine ne se présente à lui. «Je suis là de 9 à 19h. Le soir, je ne suis pas de service, alors les gens évitent de se garer ici, surtout que le quartier pullule de mauvais garnements», indique Zaki. Les deux trottoirs, dont il a hérité, comptent une quarantaine de places. «Mais en réalité, je ne dispose que de 10 à 15 places. Toutes les autres sont réservées aux riverains : les propriétaires des boutiques alentours ont chacun un ou deux véhicules et ils ne paient rien», nuance-t-il. Nous sommes régulièrement interrompus par des automobilistes désemparés qui quémandent un bout de trottoir. Zaki s'affaire dans tous les sens. Il est 14h et le trafic est dense. «Parfois, c'est moi qui me charge d'organiser la circulation. Il m'arrive même d'aider les ambulanciers de l'hôpital à se frayer un chemin quand la chaussée est congestionnée», se vante notre ami. Pour appuyer ses dires, Zaki sort de sa poche un sifflet de couleur noire. «C'est un sifflet réglementaire que m'ont offert les services de police. Les flics du 8e me choient comme leur petit frère», se félicite-t-il. «C'est la preuve que je suis un type sérieux. Je n'ai rien de ces gardiens de parking qui trempent dans la drogue, qui sont eux-mêmes complices de vols de voiture et qui ne sont guère dignes de confiance.». A un moment donné, et comme pour corroborer son témoignage, deux commissaires de police en civil à bord d'une grosse cylindrée viennent stationner. En repartant, ils glissent une pièce de 100 DA dans la paume de Zaki. «Vous voyez ? Tout le monde me respecte ici. Quand je ne viens pas, le téléphone n'arrête pas», poursuit le malingre jeune homme. Zaki est ainsi devenu le chouchou du quartier. Pourtant, ce n'est pas un enfant de Meissonnier. «Moi, je suis de la cité Mahieddine, près de la salle Harcha. Mais tout le monde m'a adopté ici.» Zaki, faut-il le reconnaître, est très attachant et délicieux comme tout.
«Mon gourdin, c'est ma gentillesse» Tous ne peuvent pas se targuer de faire bonne impression auprès des usagers. Pour un certain nombre d'automobilistes que nous avons interrogés, cette activité est assimilée à une forme de racket. «C'est de la voyoucratie organisée», lâche l'un d'eux. S'il admet qu'il y a de vraies «petites frappes» qui imposent leur diktat dans les boyaux de la ville, Zaki trouve de bons arguments pour justifier sa présence. «Les gens peuvent laisser leurs voitures les portières ouvertes et aller vaquer tranquillement à leurs affaires. C'est ça ce que les gens paient : la sécurité. Regardez autour de vous le genre de voitures que mes clients me confient. Ce sont des bagnoles de luxe. Les gens ne peuvent pas se permettre de laisser leurs véhicules dans la rue. Le quartier est difficile. Je passe mon temps à me bagarrer contre les ‘'âraya'' de tout poil qui infestent la ville. J'ai nettoyé le quartier à moi tout seul. D'ailleurs, personne ne s'est jamais plaint de la moindre agression. Si un zigoto s'avise d'approcher de l'un des véhicules qui sont sous ma garde, il sera arrêté dans l'heure. Je connais bien ce milieu pour y avoir grandi. Je suis un enfant de la rue et ces larrons ne m'impressionnent pas.» Dans la foulée, il dévoile les nombreuses cicatrices qui lacèrent ses bras, et qu'il arbore comme des «blessures de guerre» : «J'ai sept coups de couteau plantés dans le corps à force de me battre contre cette pègre. Je suis comme ça, je ne peux pas voir un truand agresser un citoyen sans intervenir. Mais j'ai un casier judiciaire vierge et je n'ai pas passé une seule heure en prison !» Contrairement à d'autres parmi ses «confrères», Zaki n'affiche ni massue ni barre de fer. «Moi je gère ce parking tout seul et sans aucun accessoire. Mon gourdin, c'est ma gentillesse Mais en cas de besoin, ne vous en faites pas, j'ai ce qu'il faut», lâche-t-il. Si dans l'imagerie populaire, les gardiens de parking passent pour être des racketteurs d'un nouveau genre qui se font de l'argent en rançonnant les automobilistes, Zaki récuse catégoriquement ces griefs : «D'abord, moi, je ne fais pas payer tout le monde. Je me fais entre 1300 et 1500 DA par jour, et croyez-moi, par les temps qui courent, ça suffit à peine pour s'acheter des fringues et s'offrir un sandwich. Et puis, c'est une activité qui n'a pas d'avenir. Je n'ai que ça pour gagner ma croûte. J'ai collectionné 120 demandes d'emploi auprès du bureau de main-d'œuvre. J'attends toujours. Mais comme dit le proverbe, ‘'bougi takoul errougi''.» Des parkings sur les décombres des vieilles bâtisses Hamza, lui, officie dans une petite ruelle au cœur du quartier de Belcourt. Avec deux de ses potes, Dahmane et «Di Maria», ils ont aménagé un parking, il y a de cela quatre mois, en récupérant l'assiette d'une bâtisse démolie, sise rue Merzak Dib. «Avant, il y avait, ici, un petit immeuble qui s'est effondré après le séisme de 2003. Il y avait un tas de gravats. Un jour, on s'est dit pourquoi ne pas nettoyer cette assiette et en faire un parking. Après tout, on est des enfants du quartier. C'est mieux que de voir d'autres gens s'en emparer. On s'est donné un mal fou pour déblayer le terrain et en faire un lieu propre. On a déboursé 50 000 DA en travaux», confie-t-il. Le résultat est plutôt probant. Le nouveau parking, d'une capacité de 26 places, est soigneusement agencé. Un large portail en filtre l'accès, et le mur d'enceinte est surmonté de fils de fer barbelés. Outre l'assiette de terrain, Hamza & Co. ont «annexé» le trottoir adjacent. Le tarif pour la journée est fixé à 50 DA forfaitaires. Et c'est 100 DA la nuit. Pour un abonnement mensuel, le tarif est de 1000 DA. Hamza et ses deux associés se relaient à tour de rôle, suivant un système de brigades. «Là, je commence à 14h et je travaille 24 heures d'affilée, après, mon ami prend le relais et ainsi de suite. Mais à minuit, je ferme le portail et rentre chez moi. Je suis tranquille puisqu'on habite juste à côté. Ici, ''wahed ma yedenna''. Les gens nous connaissent et il ne viendrait à l'idée de personne de nous chercher des noises. Je vois parfois de petits gamins qui roulent des mécaniques en arborant un «chawarma» (en référence au couteau utilisé par les snacks qui proposent des sandwichs «chawarma», ndlr). Avec moi, ils n'ont pas intérêt à faire le mariole. ‘'Tadarbou triciti'' (il serait électrocuté s'il s'approchait de moi).» Et de raconter comment il a refait le portrait à un truand bien connu à Belcourt surnommé «Cheese». Outre le parking, Hamza et ses collègues ont un étal au marché de Belcourt. «Cette activité est précaire et ne nous rapporte pas grand-chose, il ne faut pas croire. A la fin du mois, on se partage la recette. Je fais à peine 15 000 à 16 000 DA». Comme Zaki, Hamza dit vivre en bonne intelligence avec son entourage. «Nous sommes des gens de bonne famille et tout le monde nous respecte. Nous avons de très bons rapports avec nos clients», se réjouit-il, avant de nous livrer ce témoignage : «Une fois, un automobiliste originaire de Sétif était descendu à l'hôtel qui jouxte le parking. Il avait laissé dans le coffre de sa voiture un cabas bardé de billets, et personne ne l'a touché. Le matin, il m'a tendu un billet de 1000 DA et j'ai décliné son pourboire. Je ne mange pas de ce pain-là.»