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L'amère réalité d'un casseur
Publié dans Le Midi Libre le 10 - 01 - 2011

Alger est secouée vertement par les émeutiers qui crient haut et fort leur ras-le-bol. Notre journaliste a rencontré l'un d'entre eux qui a bien voulu faire des confidences sur son quotidien de misère. Il parle à cœur ouvert
«Je ne suis ni voyou, ni bandit, mais tout simplement un jeune qui n'a pas encore trouvé sa lumière. Je le murmure mais ne le dis pas, car je sais, ou plutôt je pense, que personne ne me comprendra. Au début je n'avais pas de problèmes. J'espérais qu'un jour, le bateau de l'Australie vienne me chercher et je ferai comme mon voisin. En été, quand il vient passer ses vacances, j'avoue que je suis jaloux. Ses petits frères sont bien habillés et ses parents fiers et heureux. J'en peux plus, je partirai en France, en Italie, ou même en Russie s'il le fallait. Ma devise «houma wala lhouma» (être maltraité est mieux que de ne pas être traité, NDLR). Au primaire, je ne pouvais pas me concentrer, l'hiver était glacial dans les classes. En été j'avais honte d'enlever mon manteau et montrer mes vêtements chiffonnés. Je ne dormais pas bien la nuit, ma chambre, ou plus exactement la chambre commune, ne pouvait me supporter moi et mes 5 frères et sœurs. Je ne pouvais aussi me concentrer de crainte que mon «papa», pardon si on m'entendait dire papa on se moquerait de moi ! Enfin, j'avais peur que mon père ne revienne pas le soir. En entendant les signaux des sirènes, je me disais que peut-être «baba» est parmi les morts dans cette bombe. J'ai 13 ans, je suis assez grand. Déjà j'ai 2 ans d'expérience dans la vente sur les trottoirs. Je me demande à quoi ça sert de passer son temps sur les bancs de l'école alors que mon voisin, licencié, est au chômage. Il n'a pas d'expérience. Comment va-t-il avoir de l'expérience sans travailler ? Son frère, médecin à «Maillot», touche beaucoup moins qu'une recette d'une semaine dans un parking sauvage d'Alger. Un «parkingueur» doit arracher sa place. Je dois donc être méchant. Comment faire ? En attendant, je lance mon propre commerce. Je ne vends que des cigarettes. Pourquoi les policiers me pourchassent ? Ils m'embêtent sans arrêt. Si j'avais trouvé un parking libre, j'aurais sûrement quitté mon étal. J'ai le cœur lourd et je veux me distraire et oublier mes problèmes. Certes, le cannabis est efficace mais je n'ai pas assez de moyens pour me le permettre chaque jour. Il faut que je me procure un joint. Je n'ai pas d'argent, je vais voler ? Oui, pourquoi pas ! En plus, comment lui il est devenu riche et moi je suis pauvre ? Son père doit être voleur. C'est bon, j'ai décidé de m'en débarrasser. Mais avec quoi je vais remplacer cette habitude ? Si j'étais marié j'aurais été sage et j'aurais trouvé à qui me plaindre et pour qui me battre... impossible, je n'ai même pas ma propre chambre. Et si je construisais une baraque ? Où ? Tous les espaces sont occupés par ces ruraux qui ont fui le terrorisme. Si j'avais su, je l'aurais fait. Ils les ont tous relogés. Et moi ? Je suis né ici et vous ne me donnez rien ? Pourquoi ? Parce que je ne me suis pas fait entendre ? Entendez-moi et laissez-moi m'exprimer de la seule manière que j'ai appris. Dans ma cité, on dit que celui qui n'a rien gagné n'a rien à perdre.»
Alger est secouée vertement par les émeutiers qui crient haut et fort leur ras-le-bol. Notre journaliste a rencontré l'un d'entre eux qui a bien voulu faire des confidences sur son quotidien de misère. Il parle à cœur ouvert
«Je ne suis ni voyou, ni bandit, mais tout simplement un jeune qui n'a pas encore trouvé sa lumière. Je le murmure mais ne le dis pas, car je sais, ou plutôt je pense, que personne ne me comprendra. Au début je n'avais pas de problèmes. J'espérais qu'un jour, le bateau de l'Australie vienne me chercher et je ferai comme mon voisin. En été, quand il vient passer ses vacances, j'avoue que je suis jaloux. Ses petits frères sont bien habillés et ses parents fiers et heureux. J'en peux plus, je partirai en France, en Italie, ou même en Russie s'il le fallait. Ma devise «houma wala lhouma» (être maltraité est mieux que de ne pas être traité, NDLR). Au primaire, je ne pouvais pas me concentrer, l'hiver était glacial dans les classes. En été j'avais honte d'enlever mon manteau et montrer mes vêtements chiffonnés. Je ne dormais pas bien la nuit, ma chambre, ou plus exactement la chambre commune, ne pouvait me supporter moi et mes 5 frères et sœurs. Je ne pouvais aussi me concentrer de crainte que mon «papa», pardon si on m'entendait dire papa on se moquerait de moi ! Enfin, j'avais peur que mon père ne revienne pas le soir. En entendant les signaux des sirènes, je me disais que peut-être «baba» est parmi les morts dans cette bombe. J'ai 13 ans, je suis assez grand. Déjà j'ai 2 ans d'expérience dans la vente sur les trottoirs. Je me demande à quoi ça sert de passer son temps sur les bancs de l'école alors que mon voisin, licencié, est au chômage. Il n'a pas d'expérience. Comment va-t-il avoir de l'expérience sans travailler ? Son frère, médecin à «Maillot», touche beaucoup moins qu'une recette d'une semaine dans un parking sauvage d'Alger. Un «parkingueur» doit arracher sa place. Je dois donc être méchant. Comment faire ? En attendant, je lance mon propre commerce. Je ne vends que des cigarettes. Pourquoi les policiers me pourchassent ? Ils m'embêtent sans arrêt. Si j'avais trouvé un parking libre, j'aurais sûrement quitté mon étal. J'ai le cœur lourd et je veux me distraire et oublier mes problèmes. Certes, le cannabis est efficace mais je n'ai pas assez de moyens pour me le permettre chaque jour. Il faut que je me procure un joint. Je n'ai pas d'argent, je vais voler ? Oui, pourquoi pas ! En plus, comment lui il est devenu riche et moi je suis pauvre ? Son père doit être voleur. C'est bon, j'ai décidé de m'en débarrasser. Mais avec quoi je vais remplacer cette habitude ? Si j'étais marié j'aurais été sage et j'aurais trouvé à qui me plaindre et pour qui me battre... impossible, je n'ai même pas ma propre chambre. Et si je construisais une baraque ? Où ? Tous les espaces sont occupés par ces ruraux qui ont fui le terrorisme. Si j'avais su, je l'aurais fait. Ils les ont tous relogés. Et moi ? Je suis né ici et vous ne me donnez rien ? Pourquoi ? Parce que je ne me suis pas fait entendre ? Entendez-moi et laissez-moi m'exprimer de la seule manière que j'ai appris. Dans ma cité, on dit que celui qui n'a rien gagné n'a rien à perdre.»


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