Dans sa contribution publiée le 31.12.2011 dans El Watan et consacrée à feu Houari Boumediene, M. Mebroukine a porté de graves accusations à l'encontre du_Colonel Laskri Amara, dit BougIez, commandant de la Base de l'Est jusqu'au début 1958. Pour résumer et selon M. Mebroukine, Amara Bouglez, je cite : *- Il aurait été «un hors-la-loi hors normes qui s'est proclamé patron de la base de l'Est» ; *- «Les moudjahidine encore vivants qui ont combattu à l'Est peuvent témoigner du sentiment de délivrance qu'a constitué pour eux la désignation du Colonel Boumediene à la tête de l'EMG, en janvier 1960. Enfin, ils allaient être débarrassés d'un hors-la-loi hors normes qui s'était proclamé patron de la base de l'Est, à savoir Amara Bouglez (Amara Laskri» ; *- Il aurait été «en réalité un allié objectif de l'armée coloniale» ; - «En faisant obstacle à toute incursion d'hommes ou d'acheminement de munitions à partir du territoire tunisien vers l'Algérie» ; - «Il laissa, l'âme sereine, s'édifier la ligne Morice destinée à priver l' ALN de tout soutien en hommes et en logistique à partir de l'extérieur...». Je voudrais, tout d'abord, évacuer une question liminaire, celle concernant le fond du sujet traité par M. Mebroukine, à savoir l'action du Colonel, puis Président Boumediene. L'ensemble de la famille de Amara Bouglez éprouve à l'égard du Président Boumediene un respect sincère pour l'œuvre accomplie au sein de l'armée, et au niveau de l'Etat plus tard. Examinons maintenant les accusations de M. Mebroukine : I/ - «Le hors-la-loi hors normes qui s'était proclamé patron de la Base de l'Est» : 1.1.- N'ayant pas été acteur durant ces événements et n'étant pas historien, tout ce je peux dire pour l'avoir entendu auprès d'acteurs décisifs de cette création, dont certains sont encore vivants, c'est que ce fut une décision collective, concertée et réfléchie, prise par la dizaine de premiers maquisards de la région, réfugiés, début 1955, dans les monts proches d'EI Kala. Ce premier groupe de moudjahidine avait décidé de mener des actions contre l'occupant, après avoir choisi le plus aguerri d'entre eux pour les diriger : Laskri Amara, surnommé Bouglez. Avec le temps, l'afflux de nouveaux moudjahidine et la jonction faite avec le groupe activant dans la région de Souk Ahras, permirent d'étoffer et d'organiser ce qui devint la Base de l'Est. 1.2.- Après le Congrès de la Soummam, la Base de l'Est a été maintenue comme structure rattachée à la Direction Nationale Politique et Militaire : CNRA et CCE. Ce qui eut pour conséquences : * de maintenir l'organisation des troupes, et la chaîne de commandement en place ; * de confirmer la structure dans la mission de base de soutien de l'intérieur, et d'approvisionnement en armes, munitions, moyens logistiques des Wilayas. *Ceci, en plus évidemment de ses activités de harcèlement de l'ennemi sur son territoire 1.3.- En été 1957, Amara Bouglez a intégré le CNRA, au titre de Colonel Commandant la Base de l'Est 1.4.- Au printemps 1958, fut créé le COM (Comité des Opérations Militaires, basé à Ghardimaou, Tunisie.). Le commandement du COM fut confié au colonel Mohammedi Saïd (Si Nacer), et les colonels suivants furent nommés membres : - Amar Benaouda - Mohamed Lamouri - Houari Boumediene - Amara BougIez 1.5.- Après sa nomination au COM, Bouglez a quitté la Base de l'Est, où il fut remplacé par son adjoint, le Commandant Mohammed Aouachria, (élevé par la suite au grade de Colonel). Au lecteur d'apprécier si le parcours de A. BougIez, ainsi que les responsabilités politiques et militaires auxquelles il fut nommé au CNRA, et au COM, correspondent à la caricature de «hors-la-loi» qu'en a fait M. Mebroukine. II /- Concernant la seconde affirmation de M. Mebroukine, à savoir «la délivrance des moudjahidine», il convient de souligner que M. Mebroukine prend des libertés avec le calendrier et travestit le déroulement des événements. Car il n'y a pas eu concomitance entre la création de l'EMG, et la nomination du Colonel H. Boumediene à sa tête d'une part, et le départ de A. Bouglez de la Base de l'Est, d'autre part. BougIez a quitté la Base et rejoint le COM en début 1958, alors que l'EMG a été créé en 1960 ; deux ans séparent les deux événements. Quant à la soi-disant «délivrance» des moudjahidine de la base de l'Est, M. Mebroukine a certainement rencontré l'exception qui confirme la règle. Au demeurant, nul n'est mieux placé qu'eux-mêmes, ces moudjahidine, pour en faire état ; ce que je n'ai pas lu ou entendu jusqu'à présent. III / - Concernant l'accusation «d'allié objectif de l'armée coloniale» : 3.1. - Sur l'accusation «d'obstacle aux mouvements des hommes et des armes de la Tunisie vers l'Algérie»: 3.1.1 - Concernant le mouvements des hommes : Le territoire de la base de l'Est fut le couloir principal par lequel transitaient les djounoud de et vers la Tunisie. Conformément à sa mission, la Base de l'Est a mis en place un dispositif rodé de convoyage et de protection dans les zones dangereuses des responsables ou des groupes transitant sur son territoire ; toute son infrastructure politico-administrative (moussebline, chefs de markaz, guides, agents de liaison, guetteurs...) sur le terrain était mobilisée pour guider, héberger, renseigner sur les mouvements et positions de l'ennemi, les moudjahidine en transit. Les exemples de convoyage pour le franchissement de la frontière, et même de la ligne Morice sont nombreux dans les mémoires publiées de moudjahidine de la Base de l'Est. Il suffit de les lire. La propension de M. Mebroukine à se tromper de période historique, ou de lieu, expliquerait peut-être son accusation, sans la justifier. 3.1.2 - Concernant «l'obstacle à l'acheminement des munitions de la Tunisie vers l'Algérie» S'il y a un domaine ou il n'y a pas un seul moudjahid de la Base de l'Est qui n'affiche pas sa fierté pour les actions de la Base, c'est bien celui des compagnies d'acheminement des armes et munitions vers les Wilayas. La compagnie partait avec une centaine de moudjahidine ou plus ; chaque homme portant deux armes de guerre et des munitions, et des mulets portant des caisses de munitions ou des pièces de mortier, mitrailleuses lourdes. Arrivés à destination, les hommes remettaient toutes leurs armes à leurs frères de l'intérieur et rentraient à la Base sans armes et souvent en civil, au péril de leur vie. Durand la période de commandement par A. Bouglez de la Base, nombreux furent les convois envoyés vers les Wilayas. A titre non exhaustif, je citerais les envois de l'année 1957, et début 1958 : * une compagnie commandée par Ahmed El Kebaïli, livra un chargement d'armes à la Wilaya III au début de 1957 ; * une compagnie commandée par Ahmed El Besbessi livra des armes à la Wilaya III au printemps de 1957 ; * une compagnie commandée par Amar Chemam, dit Amar Chekkaï, livra un chargement d'armes et munitions à l'une des Wilayas de l'intérieur, (sans précision de quelle Wilaya il s'agissait) ; * toujours en 1957, la compagnie commandée par Youcef Latrèche livra un convoi d'armes et de munitions à Berrouaghia (probablement à la Wilaya IV) * début 1958, le commando de Slimène Laceu (Kenoun Slimène), qui opérait habituellement dans la ville de Souk Ahras, achemina des armes à la Wilaya III. A côté de ces livraisons par la Base de l'Est, les Wilayas, lesquelles avaient des points d'appui en Tunisie, et envoyaient des convois en Tunisie pour ramener armes, munitions et logistique diverse. Dans ces cas, le rôle de la Base de l'Est était de sécuriser leur parcours sur son territoire et de les aider lors de la traversée de la ligne Morice. Pour conclure sur ce point, les accusations portées par M. Mebroukine envers A. BougIez sont démenties par les faits rapportés et écrits par les moudjahidine qui les ont vécus. 3.2./- Sur «l'inaction devant l'édification de la ligne Morice» : Pour une personne avertie, de bon sens, et connaissant un tant soit peu l'état des forces en présence en 1957, une telle accusation n'est pas réaliste. Car faut il être candide pour croire qu'une armée de guérilleros, aux moyens modestes, munis d'armes individuelles, et de quelques fusils mitrailleurs, et même de quelques mortiers en 1957, (car l'ALN ne reçut des canons que bien plus tard), pouvait affronter les moyens considérables amassés par l'armée française pour protéger les chantiers de la ligne. Les chantiers étaient protégés par des postes fixes fortifiés, des patrouilles fréquentes mécanisées, ou blindées, une couverture par l'artillerie lourde fixe, logée dans les villages et postes avoisinants, une couverture aérienne et des troupes héliportées en cas de besoin. Je rappelle aussi que la ligne Moriee a été aussi construite sur les territoires d'autres Wilayas frontalières à l'Est et à l'Ouest. Ces Wilayas aussi n'ont pas pu s'opposer à l'édification de la ligne pour les mêmes raisons qui ont empêché la Base de l'Est de le faire. EN CONCLUSION Tout homme est faillible par nature, et Amara Bouglez ne déroge pas à la règle, surtout dans les conditions exceptionnelles dans lesquelles se sont passés les faits évoqués. Cependant, entre les erreurs que quiconque peut être appelé à commettre de bonne foi, et le portrait sinistre que nous fait M. Mebroukine de ce valeureux fils de l' Algérie, il y a un monde. C'est un bien mauvais et bien triste procès que M. Mebroukine a intenté non seulement à Amara BougIez, mais par ricochet aussi aux moudjahidine et cadres qui ont fait cette base, et dont c'est la fierté d'avoir servi le pays au sein de cette structure, ainsi qu'aux innombrables héros tombés au champ d'honneur sur le territoire de la base ou dans les lignes Morice et Challe. Procès mené à partir de poncifs galvaudés, de ragots malveillants, sans le moindre début de preuve. Amara Bouglez seul n'aurait rien pu faire, n'eut été le génie, le courage et l'engagement patriotique de ses compagnons d'armes. Et, cela, personne ne pourra pas l'effacer de l'Histoire de l'Algérie. Parce qu'en définitive, c'est de cela qu'il s'agit. N'ayant pas vécu cette grande période, j'ai, dans la hâte, fait appel à de la documentation, des ouvrages et aux souvenirs de moudjahine encore vivants pour rédiger cette esquisse de réponse. Mais jamais je ne pourrai parler avec autant de compétence et de maîtrise de ces différents sujets, autant que ne le feraient les moudjahidine et les cadres de la Base de l'Est encore en vie.Certains l'ont déjà fait avec talent et probité. Notre vœu est de voir d'autres livrer aux Algériens, en particulier aux jeunes, leur témoignage, car le risque, si on ne laisse la parole qu'aux Cassandre, c'est dans quelques décennies de voir qualifier nos valeureux moudjahidine, de «hors-la-loi», emprunt non anodin au fameux vocabulaire des autorités coloniales. Pour la famille du Colonel Laskri Amara Bouglez, Hacène Laskri