La Suisse s'est de tout temps attiré une reconnaissance internationale pour son attachement aux principes universels des droits de l'homme, son engagement dans la réconciliation et le maintien de la paix sur le plan international. Aujourd'hui, c'est la route vers une autre reconnaissance mais moins glorieuse : une Suisse criminalisante, qui fait l'amalgame entre étranger et criminel. Car aux côtés de l'Italie, elle s'est, en effet, illustrée par sa sévérité à l'égard des sans-papiers, les deux étant les seuls pays européens à faire du séjour illégal un crime. D'où le recours aux emprisonnements massifs des immigrants irréguliers car considérés comme étant à l'origine de l'insécurité dans les grandes villes suisses, notamment Genève. Là où justement les «Algériens» demeurent parmi les nationalités les plus ciblées par les autorités helvétiques et à cela une raison majeure : pour éviter d'être expulsés vers leurs pays d'origine, les Maghrébins appréhendés se prétendent Algériens, sachant fort bien que malgré l'existence d'un accord de réadmission le liant à la Suisse, notre pays a toujours brandi un niet catégorique quant à l'accueil sur son territoire de vols spéciaux. Ce constat, un récent rapport américain de l'Observatoire de la détention des sans-papiers relevant du Graduate Institute de Genève – dont une copie a été transmise ce week-end à notre rédaction – où ont été décryptés les non-dits de la détention administrative en Suisse, l'a particulièrement souligné. D'ailleurs, y est-t-il indiqué, le Grand conseil de Genève a accepté, en septembre, une motion radicale qui préconise de bâtir 250 places de détention administrative. «Ce chiffre n'est pas tombé du ciel. Il correspond au nombre de multirécidivistes qui sont à l'origine de l'insécurité à Genève. Des Maghrébins pour la plupart, qui n'ont pas déposé de demande d'asile et se prétendent Algériens. Ils savent que l'Algérie refuse les vols spéciaux, en dépit de l'accord de réadmission». Accord signé en 2006 Notons à ce propos qu'au même titre que ceux conclus avec la France (28 septembre 1994), l'Allemagne (14 février 1997), l'Italie (24 février 2000- l'Espagne (31 juillet 2002), le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (11 juillet 2006), l'accord bilatéral de réadmission avec la Suisse avait été signé le 3 juin 2006 sur la base de principes clairs et indiscutables. Il s'agit, entre autres, de l'identification préalable, l'authentification de la nationalité, l'accord de renvoi en cas d'erreur sur la nationalité, la préservation des droits acquis des ressortissants concernés ainsi que du respect de la dignité des personnes réadmises. Toutefois, leur mise en œuvre bute toujours sur les délais trop longs, enregistrés dans l'acceptation par les pays de renvoi, de reprendre les personnes réadmises en Algérie dont la nationalité algérienne n'est pas formellement établie après l'examen de leur situation, expliquant le fait que notre pays soit resté toujours aussi étanche à la procédure des vols spéciaux. Et c'est justement dans le souci de s'assurer de l'«algérianité» des candidats à l'expulsion faisant partie des 200 000 sans-papiers présents sur son territoire — théoriquement expulsables — que Berne a récemment conclu un protocole d'accord avec Alger. Celui-ci concerne les sans-papiers nationaux vivant à Genève et prévoit leur reconduite aux frontières. Pourquoi Genève et pas une autre ville ? C'est en raison de la recrudescence de la délinquance notamment dans les quartiers populaires, dont celui des Pâquis, se défendent les autorités helvètes. Un quartier mis sous haute surveillance policière et où ont été accentuées les opérations coup-de-poing dans le but d'enrayer l'insécurité en ciblant le milieu des dealers. Bien qu'ils soient très peu nombreux comparés aux autres clandestins nord-africains, nos compatriotes sont inexplicablement montrés du doigt par la population genevoise, qui aiment à les appeler les «Zizou» en référence au joueur international de football Zineddine Zidane. Au total, pas moins de 250 sans-papiers algériens sont répertoriés sur le fichier des services de sécurité de Genève. CONFUSION ENTRE DELINQUaNCE ET SEJOUR ILLEGAL La plupart d'entre eux sont accusés d'être spécialisés dans le vol à la tire et l'agression. Une fois tombés dans les mailles des services de sécurité, ils sont aussitôt relâchés conformément au régime de peines pécuniaires «jours-amendes» en vigueur depuis début 2007. Ce qui a suscité de vives réactions dans le camp de la bourgeoisie parlementaire suisse qui a fortement décrié ce régime — la demande de réintroduction des courtes peines de prison et la suppression du sursis pour le travail d'intérêt général en vue d'une lutte plus efficace contre la petite délinquance. Toujours est-il que la Suisse, qui confond la délinquance avec le séjour illégal et n'hésite pas à mettre en prison tout étranger refusant de la quitter, est dénoncée dans différents passages du rapport américain. Sur les trente-deux lieux de détention administrative du pays, relève le même document, seuls onze sont des structures spécifiques comme le «célèbre» centre pour étrangers illégaux en attente d'expulsion de Frambois. Ce dernier a avoisiné les 120% de taux d'occupation en 2011 contre seulement 93% une année auparavant, la plupart des pensionnaires étant des illégaux algériens et de présumés algériens, poussant ses responsables à recourir à la prison de Champ-Dollon pour placer le surplus. Si cette pratique, note le même rapport, fait scandale à Genève, elle s'est, en revanche, érigée en norme à Berne (la capitale) ou à Fribourg et Zurich. Ce qui n'a pas laissé indifférents le Conseil de l'Europe et le Comité suisse pour la prévention de la torture, lesquels ont appelé les autorités fédérales à y mettre un terme. Utiliser le crime de «séjour illégal» pour se débarrasser des petits délinquants ne peut être assimilé qu'à une grave atteinte aux droits de l'homme. Car à en croire ce qu'avancent ces mêmes autorités — 70% de délinquants en moyenne parmi les incarcérés administratifs c'est-à-dire les illégaux au niveau suisse — les 200 000 sans-papiers qui travaillent au noir mais paient leurs impôts, leur assurance maladie et scolarisent leurs enfants devraient mathématiquement constituer l'essentiel des détenus, conclut le rapport.