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Dans le dénuement et l'indifférence
Le temps s'est arrêté à Tolba, à 40 km de M'sila
Publié dans El Watan le 01 - 02 - 2006

En quittant la RN 40 pour rallier le village de Tolba, réputé être le bastion de la résistance contre le terrorisme dans cette zone durant la dernière décennie, et s'engouffrant dans les profondeurs d'un territoire s'étendant jusqu'aux contreforts de la chaîne montagneuse du Hodna, sur lesquels se greffent des villages aussi bien dans la platitude du relief (Ouled Bia, Ouled Guesmia, Maâtik, Drafla), que l'escarpement de la montagne (Tolba et Chorfa), on est aussitôt saisi d'admiration par un tableau grandeur nature d'une beauté saisissante.
Tableau représentant des figures géométriques parfaitement symétriques qui se juxtaposent sur toute la longueur du versant de la montagne, formant ainsi une configuration d'ensemble d'une précision troublante. e visiteur est aussitôt impressionné par la splendeur du paysage qui caractérise le village Tolba, dès lors que son regard se porte sur cette étendue escarpée, ponctuée de maisonnettes basses de pierres et de tuiles aux couleurs éteintes qui, s'éparpillant dans l'immensité du relief et épousant par endroits ses différentes configurations, accentuent beaucoup plus le caractère austère d'un village qui n'en finit pas de péricliter à force d'être rongé par les aléas du temps, quand ses habitants n'ont rien pour contrecarrer ses effets ravageurs. Le temps semble s'être arrêté pour cette population de 2000 âmes, qui s'est trouvée exclue de différentes formules qui ont été initiées jusque-là, liées au FNDRA, aux aides en matière de développement des cultures de montagne et d'aide pour la stabilisation des populations rurales. Cette carence dans l'accompagnement de ces populations rurales défavorisées, conjuguée aux méfaits du terrorisme ont entraîné une aggravation de la vulnérabilité des petits agriculteurs et éleveurs, enclenchant de fait le processus irréversible de la paupérisation de cette communauté villageoise. « Les dossiers, dira un sexagénaire, que nous avons déposés auprès des services agricoles pour bénéficier du soutien du FNRDA, pour le développement des cultures de montagne n'ont jamais abouti. » « On ne nous a même pas répondu, on nous a confinés dans une insoutenable indifférence », a ajouté ce sexagénaire d'un ton plein d'amertume. A en croire ces villageois, même le projet de développement rural dans les zones de montagne du nord de la wilaya de M'sila, initié par le FIDA ne concerne pas la population de Tolba. « Laquelle, dira le jeune Aïssa Deghiche, demeure frappée de malédiction par le fait que tout ce qui est entrepris avec succès au profit des jeunes diplômés de l'agriculture dans d'autres contrées, échoue lamentablement au village Tolba. » « Preuve en est, l'opération d'octroi d'aide à cette catégorie de jeunes pour la création de leur propre activité, et pour laquelle les jeunes de Tolba y avaient souscrit, n'a pas abouti. Non pas parce qu'on ne remplit pas les conditions, mais parce qu'on demeure dans la sphère de l'exclusion, et qu'on compte pour trois fois rien », dira-t-il excédé par cette situation d'exclusion qui les maintient résolument dans une profonde précarité. Cela nous mène au phénomène du chômage qui sévit à grande échelle dans cette contrée. Les jeunes n'ont d'autre alternative que celle de s'exiler, notamment à Alger, où l'emploi est disponible particulièrement dans les secteurs du bâtiment et de l'agriculture. « Les conditions de vie et de travail sont très dures dans l'Algérois, mais on gagne suffisamment d'argent pour économiser et faire vivre nos familles demeurées à Tolba », nous dira un jeune villageois qui semble avoir fait l'expérience de l'exil.
« Un nouveau métier s'est développé à Tolba, celui de porteur d'eau »
Flanqué dans l'immensité de la chaîne de montagne du Hodna, le village Tolba, situé à 40 km au sud-est du chef-lieu de la wilaya de M'sila, n'en finit pas d'émarger parmi les villages les plus démunis en matière d'eau potable. La population s'approvisionne à partir d'une fontaine située à mi-chemin entre les deux bouts du village. Il va sans dire que l'approvisionnement des villageois en eau potable constitue un véritable calvaire. « Un nouveau métier s'est développé à Tolba, celui de porteur d'eau, assuré principalement par les enfants et les femmes subsidiairement », a soutenu Abdelaziz, jeune diplômé au chômage. Le transport d'eau est effectué à dos d'âne, dira-t-il, dans des jerricans de différentes contenances. Outre cette corvée presque quotidienne, les enfants sont confrontés à un autre calvaire qui est celui du transport scolaire, lesquels, pour rejoindre l'école du village, doivent faire 8 km par jour. Cela n'est pas une mince affaire pour ces jeunes écoliers vivant dans le dénuement, surtout en cette période hivernale, où la neige est partie intégrante du décor du village Tolba. L'enclavement du village est venu compliquer le quotidien des collégiens qui doivent parcourir, avec leurs propres moyens, du fait de l'inexistence du transport scolaire, 14 km par jour pour rejoindre le collège à Ouled Addi Guebala (OAG). La liaison entre le village et OAG est assurée par deux véhicules (404 de marque Peugeot) qui devraient être interdits à la circulation en d'autres lieux, mais continuent à rendre tant bien que mal un précieux service à cette population. Billal, un élève de 2e année moyenne, nous dira qu'« il nous arrive souvent de rentrer au village après les cours à pied, et qu'à chaque jour que Dieu fait, rejoindre le collège ou le village, constitue une galère au quotidien », et d'ajouter : « Avec notre misère qu'on traîne comme un boulet de canon, dépenser 50 DA par jour seulement pour le transport, c'est trop. Il y a quelque part de l'injustice qui fait que nous n'avons pas les mêmes chances à la scolarité que d'autres enfants de notre âge. » Peut-être, dira-t-on, qu'il a été forgé par les dures conditions de vie auxquelles il était confronté au quotidien depuis son jeune âge. « Ce n'est pas moins de 130 enfants qui font le déplacement quotidiennement vers OAG pour rejoindre leur établissement et dont la majorité est dans la situation de Billal », nous dira avec amertume un parent d'élève.
Exploitation effrénée des villageois Le dénuement dans lequel sont confinés les villageois a atteint des proportions qui ne peuvent être appréhendées qu'à l'aune des sacrifices consentis par ces villageois dans l'accomplissement des travaux en contrepartie d'un salaire modique. Le niveau effarant de dénuement atteint par cette population s'en trouve être vérifié par le cas des 24 jeunes villageois, nous dira Abdelaziz, dans le cadre de la réalisation d'un projet de reboisement initié par la conservation des forêts de M'sila et réalisé par un entrepreneur privé, qui ont accepté de travailler dans des conditions pénibles et dangereuses, en utilisant leurs propres moyens de travail (pelle, pioche, jerricans) et un âne pour le transport des plants pour un salaire de 20 DA par jour. « Le travail consiste, a-t-il ajouté, à transporter les plants à dos d'âne de la caserne des gardes communaux au bas du village, jusqu'au sommet du versant, environ 8 km, ouvrir le pot et planter et descendre jusqu'au oued pour remplir l'eau, pour ensuite remonter irriguer les plants fraîchement mis en terre. Tout ça pour un salaire modique, c'est de l'exploitation, voire des pratiques esclavagistes. » La précarité de la situation socioéconomique de cette communauté villageoise exacerbe leurs difficiles conditions de vie surtout en cette période hivernale, à une altitude de ce village oscillant entre 800 et 1500 m, engendrant des hivers rudement insoutenables, précisément quand le gaz butane fait défaut à longueur d'année aussi bien pour se réchauffer que pour la cuisson. Pour pallier cette carence, nous a expliqué Si Tayeb, le garde communal très estimé des siens pour ses actes de bravoure lors de la lutte contre le terrorisme, en nous montrant de la main les versants boisés du mont Hodna, « les villageois s'adonnent à la coupe des arbres pour en faire du bois de chauffe et pour la cuisson », n'ayant pas terminé sa phrase, qu'un homme et deux enfants surgissent de nulle part avec un chargement de bois, transporté à dos d'âne. Ces villageois sont également confrontés au problème d'électricité dont ils sont alimentés depuis 1984, nous a-ton révélé, et où la baisse de tension leur mène la vie dure. Il leur arrive, de rester des dizaines d'heures sans électricité. Un grand nombre d'entre eux n'a pas d'électricité, n'ayant pu payer leur facture, Sonelgaz a tout simplement coupé le raccordement en électricité. L'approvisionnement du village en gaz butane n'est plus assuré, et ce, depuis l'assassinat du distributeur revendeur par les terroristes en 1997. Depuis cette date, la population n'en finit pas de décimer les reliques de forêt qui ponctuaient les versants du mont Hodna pour se réchauffer et se nourrir. Cette population, tellement marquée par le terrorisme, donne l'impression de continuer à vivre sous l'emprise de la période de la lutte implacable menée contre le terrorisme au milieu des années 1990.


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