Depuis quelques mois, le gouvernement dégaine les décrets de déclassement de parcelles du foncier agricole avec une facilité déconcertante. Alors que de nombreux pays achètent carrément des terres agricoles dans d'autres parties du globe afin d'assurer leur avenir alimentaire, l'Algérie où cette ressource est rare et non renouvelable se permet le luxe de les distraire de leur vocation pour construire des logements et y réaliser des projets d'équipement. Sous la pression du mécontentement social grandissant et la peur de l'effet boule de neige du Printemps arabe, les pouvoirs publics agissent d'une manière irrationnelle hypothéquant sérieusement la sécurité alimentaire du pays. La paix sociale à tout prix, fut-elle éphémère, aura un coût très lourd pour les futures générations qui devront gérer l'après-pétrole avec des ressources moindres que celles qui existent actuellement. «La SAU est déjà limitée et elle est consommée pour les routes, les usines, l'habitat, alors que la population est en train de croître. L'Algérie est très vaste, mais il n'y a que 8 millions d'hectares qui sont consacrés à l'agriculture et seule une petite partie a un grand potentiel», nous avait confié il y a quelques années un cadre du ministère de l'Agriculture. Mais rares sont les voix discordantes qui dénoncent cette urbanisation irréfléchie des terres agricoles. Le mois de juillet dernier, le Conseil des ministres avait annoncé l'affectation de pas moins de 9.974 hectares, répartis à travers 22 wilayas, pour la construction de près de 550.000 logements publics. Les pouvoirs publics ont décidé de mettre les bouchées doubles afin de réaliser davantage de logements et contenir les émeutes et autres mouvements de protestation liés à cette revendication. Dernièrement, un décret portant déclassement de 150 hectares de terres agricoles, situées sur le territoire de la wilaya d'Alger, a été signé par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. L'on évoque donc l'utilité publique et les extensions urbaines pour justifier cette politique de bétonnage de terres arables. Pourtant, l'Etat avait laissé croire qu'il allait sévir contre les propriétaires des terres agricoles exploitées à d'autres fins. La loi sur l'orientation agricole prévoit des sanctions sévères contre toute personne qui utilise une terre fertile à d'autres fins que l'activité agricole. Les auteurs de ces pratiques sont passibles de cinq ans de prison ferme et d'une amende allant de 100.000 à 500.000 DA, selon l'article 87 de ce texte réglementaire. Cette disposition vient en appoint à l'article 15 de la même loi qui interdit toute utilisation autre qu'agricole d'une assiette foncière répertoriée comme étant une terre agricole. Le renforcement de l'arsenal juridique a pour finalité de protéger le foncier agricole, mais qu'en est-il lorsque c'est l'Etat lui-même qui s'adonne à la distraction de terres cultivables ? Lors de cette présentation de cette loi, le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Rachid Benaïssa, avait lui-même signalé que la surface agricole était répartie à raison de 0,75 ha par habitant à l'indépendance alors qu'elle n'est que de 0,25 ha actuellement. Il avait rappelé que la surface à potentiel agricole est de 47 millions d'hectares, mais seuls 8,5 millions d'hectares peuvent faire l'objet d'une exploitation intensive. Les deux tiers des exploitations agricoles qui dépassent le million sont d'une superficie de moins de 10 ha, avait-il précisé. Ce constat aurait dû pousser le gouvernement à œuvrer pour la préservation de ces terres, mais la conjoncture actuelle dans le monde arabe semble avoir distillé un vent de panique chez les responsables algériens qui préfèrent sacrifier le foncier agricole plutôt que d'avoir à gérer une fronde sociale. Le ministère de tutelle avait à de nombreuses reprises signifié que ces terres seraient remplacées grâce au programme de mise en valeur, mais de l'avis de nombreux observateurs, ces opérations sont très coûteuses et les terres récupérées n'auront pas le même potentiel que celles urbanisées. Selon des statistiques officielles, ce programme a permis d'avoir un gain de 300 000 ha et le département de Rachid Benaïssa s'est fixé comme objectif d'atteindre les 500 000 ha à terme.