Depuis quelques jours, la dualité entre les espaces urbanisables et les terres agricoles fait l'objet d'un débat contrasté. Au moment où les partisans de l'urbanisation intensive requièrent la mobilisation de nouvelles assiettes foncières pour faire avancer les projets du BTPH (bâtiment et travaux publics) en instance, notamment dans les zones périphériques des grandes villes, les courants favorables à une protection plus rigoureuse du foncier agricole mettent en garde contre la mise en œuvre des procédures facilitant la conversion des terres fertiles à des vocations autres qu'agricoles. Cette problématique gagne en intensité, en tout cas dans la région d'Alger et les wilayas environnantes. Décidément, c'est la portée de la loi 16-08 du mois d'août 2008 et portant orientation agricole, à travers laquelle la protection des terres arables est plus ou moins renforcée, qui vient d'être diminuée. A titre indicatif, l'article 8 de ladite loi stipule : «II est institué des schémas d'orientation agricole à l'échelle de la wilaya, de la région ou à l'échelle nationale qui constituent le cadre de référence pour les actions de conservation, de préservation, d'exploitation rationnelle et d'utilisation optimale des espaces agricoles dans le respect des potentialités naturelles», et l'article 9 : «Le schéma d'orientation agricole est un instrument définissant les orientations fondamentales à moyen et long termes, d'aménagement et d'exploitation des espaces agricoles de manière à garantir un développement agricole intégré, harmonieux et durable au niveau d'une wilaya, d'une région ou au plan national». La loi 16-08 contournée La mise en œuvre de schémas de ce type aurait permis une gestion efficace des rares ressources foncières dont dispose l'agriculture algérienne si les dispositions de la loi en question ont connu une application intégrale sur le terrain, mais cela n'a pas été le cas. Il y a quelques mois, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a signé une instruction permettant plus de souplesses dans la distraction de terres agricoles et leur transfert aux secteurs de l'urbanisme et des travaux publics. A ce moment-là, le Premier ministre a justifié sa décision par une démarche en vue de débloquer les programmes de développement urbain en instance faute d'assiettes foncières. Toutefois, des contradictions non moindres caractérisent la décision signée par le Premier ministre. En effet, la loi portant orientation agricole est catégorique sur ce plan, notamment dans les articles 14 et 15. Le premier stipule : «En vertu des dispositions de la présente loi, est interdite toute utilisation autre qu'agricole d'une terre classée terre agricole ou à vocation agricole», et le second : «Sans préjudice des dispositions relatives au transfert des terres agricoles à potentialité élevée ou bonne prévues par l'article 36 de la loi 90-25, susvisée, le déclassement des autres catégories de terres agricoles, ne peut se faire que par décret pris en Conseil des ministres». Or, cette procédure préconisant le passage par le Conseil des ministres pour la conversion des terres agricoles et leur transfert vers d'autres secteurs n'a jamais été constatée depuis la promulgation de la loi portant orientation agricole en 2008. En revanche, depuis quelques semaines, plusieurs opérations de distraction de terres sont en préparation. A cet égard, il est utile de rappeler que des responsables du ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme ont annoncé la révision prochaine du PDAU (plan directeur de l'aménagement urbain) de la capitale. Cette révision consistera en l'extension des espaces urbanisables pour faciliter l'étalement des localités de la périphérie d'Alger, et ce, dans le souci de répondre à la demande croissante en logements et autres équipements publics. 6000 ha de la SAU à convertir Lors d'une intervention à la Chaîne III de la Radio nationale, le ministre de l'Agriculture et du Développement rural a justifié ce transfert tout en minimisant l'impact sur le patrimoine foncier agricole. Il a déclaré : «C'est une avancée dans le contrôle de distraction des terres. Les loi de 2008 et 2010 ont fixé le cadre dans lequel on peut distraire des terres de faibles potentialités agricoles pour éventuellement des équipements publics ou des constructions. C'est une procédure codifiée. Et puis, il y a toujours un équilibre à trouver dans le développement. Il est clair que le ministère de l'Agriculture souhaite qu'aucune terre ne soit touchée, mais d'autre part, il y a le développement qui exige de distraire des terres pour une autoroute, une construction ou autre. L'idée c'est de faire en sorte que cette distraction soit rationnelle, qu'on ne touche pas ou qu'on touche au minimum aux terres à haute potentialité agricole, qu'on les oriente dans le cadre du plan d'aménagement urbain et que ça soit connu et codifié et que ça ne se fasse pas d'une manière irrationnelle». Le ministre a expliqué également la démarche du gouvernement qui est en cours pour la conversion des terres agricoles vers d'autres utilités. Benaïssa expliquera : «Il y a actuellement un grand travail qui est en train de se faire entre le ministère de l'Habitat et celui de l'Intérieur pour l'actualisation des PDAU (Plan du développement de l'Aménagement Urbain) pour qu'on sache où on va et pour que ça se fasse d'une manière rationnelle. Des terres mises dans le PDAU seront un jour urbanisées, mais il faudra en protéger une partie. Et ce qui est en dehors du PDAU, il ne faut pas le toucher». Toutefois, il est utile de préciser que le détournement des terres agricoles ayant le statut de propriété privée de leur vocation initiale se fait sans aucune gêne et sans que les pouvoirs publics n'interviennent pour limiter l'ampleur de ces pratiques. Cependant, le ministre de l'Agriculture a révélé à la même occasion qu' «il y a une demande sur 5000 ou 6000 ha pour l'urbanisation, sur tout le territoire national, que nous essayons de cantonner sur des terres de moindres valeurs agronomiques».