Jusque-là épargnée par le vent de révolte du Printemps arabe, l'Arabie Saoudite fait face, depuis hier, à une contestation vigoureuse de sa population chiite. Un mort et plusieurs blessés ont été déplorés lors de violents affrontements qui ont opposé des policiers à des manifestants à Awamiya, où se concentre la minorité chiite. Afin de calmer la fronde sociale dans les provinces sunnites et de désamorcer la crise, le souverain saoudien a limogé le chef de la puissante police religieuse. Jusque-là épargnée par le vent du Printemps arabe qui a déjà emporté quatre présidents, l'Arabie Saoudite fait face, depuis hier, à une contestation de sa population chiite. De violents affrontements ont opposé, dès les premières heures de la journée, des policiers à des manifestants à Awamiya, province orientale du royaume où se concentre la minorité chiite. Bilan : un mort et plusieurs blessés. Selon des témoins cités par la presse, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des groupes de jeunes sortis dans la rue pour exiger la fin de la discrimination confessionnelle, la libération des détenus politiques et la mise en place de réformes politiques. Les chiites, qui se disent discriminés, demandent également l'égalité dans l'emploi et les prestations sociales avec les sunnites, majoritaires dans le royaume. Des manifestations antigouvernementales ont également eu lieu dans d'autres localités chiites de la province, dont Chouika, Al Qadih et Sihat. Forte de deux millions de chiites, la province de Awamiya a été, ces 9 derniers mois, régulièrement secouée par la contestation. Une contestation cependant très peu médiatisée en raison de l'emprise que le pouvoir a sur les médias locaux. Les manifestations s'étaient notamment multipliées, à la mi-mars, lorsque le monarque saoudien avait décidé de voler au secours du Bahreïn pour réprimer la contestation, menée là aussi par les chiites. L'entrée des troupes saoudiennes (et d'autres pays du Golfe) à Bahreïn avait d'ailleurs provoqué une vive tension entre l'Iran, à majorité chiite (comme celle de Bahreïn) et l'Arabie Saoudite. La communauté internationale dans son ensemble avait, rappelle-t-on, fermé les yeux sur cette répression sauvage. La remarque est aussi valable pour les grands médias internationaux qui n'ont que très peu parlé de la question, préférant plutôt zoomer sur la Libye et l'Egypte pour ne pas froisser le roi Abdallah. Gouvernant le pays d'une main de fer, Riyadh avait publié, début janvier, une liste de 23 Saoudiens recherchés pour leur implication dans ces «troubles». Ils ont été accusés d'agir pour le compte de l'Iran. Téhéran avait été soupçonné d'encourager en sous-main les manifestations de chiites. Sur 385 personnes arrêtées en Arabie Saoudite depuis le début des manifestations, une soixantaine seraient toujours en détention. Le roi Abdallah limoge le chef de la police religieuse Deuxième pays le plus vaste du Monde arabe mais probablement le plus riche, le royaume d'Arabie Saoudite est dirigé par une famille, les Al Saoud, opposée à toute notion de liberté ou de droits de l'homme. Aucune manifestation ou culte d'une autre religion n'y sont en effet acceptés. Les partis politiques n'ont également pas droit de cité. Les personnes qui y expriment une opinion différente sont déclarés apostats et passibles de la peine de mort. La société est contrôlée par une police religieuse qui n'autorise aucun écart par rapport à la charia. Durant plusieurs années, cette monarchie wahhabite de type absolu s'est employée à exporter, à coup de millions de dollars, le courant salafiste et son modèle dans d'autres pays arabes. Les derniers événements en Tunisie et Egypte prouvent que l'Arabe Saoudite – aidée depuis peu par le Qatar – n'a pas lésiné sur les moyens pour garantir l'arrivée au pouvoir des fondamentalistes religieux. Pendant les années 1990, de nombreux islamistes extrémistes algériens prenaient directement leurs ordres de Riyad, considéré à l'époque comme l'un des principaux soutiens des groupes islamistes armés. Devant les bouleversements que vient de connaître le Monde arabe et surtout par crainte de subir un effet de contagion, les autorités saoudiennes ont commencé à entreprendre des petites réformes. C'est ainsi que le roi Abdallah a accordé, le 25 septembre dernier, le droit de vote aux femmes. Mais à ce jour, les Saoudiennes n'ont pas le droit, par exemple, de conduite une voiture. Afin de désamorcer la fronde sociale dans les provinces sunnites qui commencent aussi de plus en plus à contester l'ordre établi et à dénoncer le caractère rentier et moyenâgeux du royaume, le souverain saoudien s'est empressé, hier, sans en donner la raison, de limoger le chef de la puissante police religieuse chargée de veiller à la stricte application la charia (loi islamique). Le roi Abdallah a remplacé cheikh Abdel Aziz El Houmayen par un modéré issu de la plus puissante famille religieuse du royaume, cheikh Abdel Latif Ben Abdel Aziz Al Cheikh. Les membres de la police religieuse, baptisée «commission de la promotion de la vertu et de la prévention du vice», patrouillent à la recherche notamment de commerces qui ne ferment pas à l'heure de la prière, de couples non mariés, de soirées où serait servi de l'alcool et d'autres comportements «suspects». Ils veillent aussi à ce que les femmes ne conduisent pas et qu'elles soient couvertes de la tête aux pieds. Beaucoup de leurs interventions ont été à l'origine de dérives. Des dérives qui ont coûté la vie à de nombreuses personnes. Ce limogeage calmera-t-il maintenant la rue saoudienne ? Peu probable au vu des énormes inégalités qui caractérisent le royaume. Comme en Egypte ou en Tunisie, les Saoudiens exigeront certainement bien plus que cela.