« Démocratie est le nom que nous donnons au peuple chaque fois que nous avons besoin de lui. » Robert de Flers Victime d'une opération ciblée, alors qu'il sortait à l'aube de la mosquée proche de son domicile à Ghaza, le cheikh Ahmed Yassine, chef spirituel et fondateur du Hamas, a été assassiné le 22 mars 2004. Il a été atteint par plusieurs éclats de missiles tirés par un hélicoptère d'assaut israélien de fabrication américaine. Le Premier ministre israélien Ariel Sharon avait personnellement supervisé l'assassinat du cheikh qui avait soulevé la réprobation de la communauté internationale. « Ignoble », « lâche », « sauvage », tels étaient les qualificatifs pour illustrer l'assassinat du vieil homme handicapé, mais dont le langage avait fini par irriter les autorités israéliennes. Cela fait presque deux ans et les Palestiniens s'apprêtent à commémorer ce triste anniversaire en rendant hommage à l'un de leurs plus vaillants combattants. Mais le meilleur hommage aura été sans doute la victoire du mouvement Hamas, dont le cheikh était le fondateur, et qui présidera désormais aux destinées de la nation palestinienne. Yassine, dans sa tombe, en tire sûrement une indicible fierté. Car de simple mouvement de résistance, le Hamas s'est mu en appareil politique qui a su répondre à l'attente des électeurs qui l'ont préféré au vieux parti de Arafat englué dans des luttes intestines sans fin. En remportant les élections législatives du 25 janvier, le Hamas (Mouvement de la mouqawama islamique) a créé un véritable séisme qui a emporté l'Autorité palestinienne réduite à composer dans le futur gouvernement formé de « technocrates au service du peuple » pour reprendre les propos de Mechaâl, un des leaders du parti vainqueur. Un tétraplégique bien actif Cette victoire, comme on l'imagine, n'a pas été perçue de la même manière. Ceux qui considéraient le Hamas comme un mouvement terroriste, ont naturellement procédé à une levée de boucliers en proférant des menaces, à l'exemple des Etats-Unis qui conseillent aux nouveaux dirigeants palestiniens de « désarmer leurs troupes et de reconnaître Israël, sinon ils seront mis au ban de la communauté internationale ». Javier Solana, représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère indique, lui, que « les Européens reconnaissent la validité des élections mais considèrent que la démocratie et la violence ou le terrorisme ne sont pas compatibles. Un groupe terroriste ne devient pas légitime simplement parce qu'il a gagné les élections », a déclaré Solana. Ce que Solana qualifie de terroristes, les Palestiniens l'appellent résistance et on voit bien que déjà, au plan de la terminologie, il y a malentendu. Yassine Ahmed est né en 1936 à Al Majdal, dans la bande de Ghaza. Il est enseignant lorsqu'en 1967, il est victime d'un accident au cours d'un match de football qui lui paralyse les membres inférieurs. Dès lors, il ne se déplacera qu'en fauteuil roulant. Fondateur du mouvement Hamas, le 14 décembre 1987, le cheikh Yassine s'inspire de l'idéologie des Frères musulmans égyptiens et en définit le Hamas, comme branche palestinienne. Les objectifs de cette organisation, regroupés dans la Charte du 8 août 1988, comprennent plusieurs objectifs, dont le plus notoire est la destruction de l'Etat d'Israël. Emprisonné en 1989 en Israël pour incitation à la violence, le cheikh est libéré en 1997 en échange d'agents du Mossad suite à un attentat manqué contre Khaled Mechaâl... « Nous en avons assez des sommets arabes. Ils ne mènent à rien, nous voulons des fusils et des bombes humaines. A défaut d'action des pays arabes, il faut bien que ceux-ci se montrent déterminés au moins dans leurs déclarations verbales qui n'engagent à rien », avait-il déclaré en menaçant. « A partir de maintenant, tous les civils israéliens sont des cibles », avait-il déclaré au lendemain d'un horrible massacre qui avait fait de nombreuses victimes palestiniennes. Cette menace avait courroucé les « faucons » israéliens. Même la presse y a trouvé matière. Le Hamas obligé de composer « Les fanatiques se nourrissent les uns les autres dans un pacte de sang non écrit qui alimente la haine et la violence, résume un éditorialiste de Ha'aretz. « Motivée par une mixture de fondamentalisme religieux et politique, cette minorité tente d'imposer une vie de souffrance et de sang versé à la majorité. » L'éditorialiste de l'hebdomadaire Al Ahram de Jérusalem estime que « le Hamas et le Djihad islamique exploitent la cause palestinienne pour établir une hégémonie interne. Les attentats commis par ces mouvements sont extrêmement dommageables à la cause palestinienne ». Mais comment le Hamas a-t-il pu s'offrir une aussi éclatante victoire ? Un an après son élection à la tête de l'Autorité palestinienne, le pouvoir de Mahmoud Abbas, après avoir chancelé plusieurs fois, se limite désormais à constater les dégâts. Le Fatah est au tapis et ses dirigeants suspectés de corruption généralisée. « Le peuple en a marre de ces caciques qui ont tout dilapidé. Il était normal que la population se rabatte sur le Hamas qui a su la séduire. » « Nous sommes prêts à prendre la relève de l'Autorité dans la gestion des affaires publiques », claironnaient il y a quelques semaines les dirigeants du Hamas boostés par la victoire aux municipales. Le Hamas avait alors organisé une impressionnante parade militaire qui a nui à sa popularité, après l'explosion accidentelle de roquettes qui ont entraîné la mort de 12 Palestiniens et en ont blessé plus de 100 autres. Il a ensuite tiré des roquettes sur la colonie israélienne de Sderot, rompant l'accord israélo-palestinien d'accalmie et provoquant une violente riposte de l'armée israélienne contre Ghaza. Le ministre de la Défense israélien Mofaz avait rappelé que « si des roquettes devaient encore être lancées contre Israël, il enverrait les dirigeants du Hamas rejoindre cheikh Yassine et El Rantissi dans leur tombe ». L'un des intellectuels palestiniens les plus en vue a son idée sur le parti islamiste vainqueur. Al Qaïda non tolérée « Le Hamas doit savoir que le crédit qu'il a difficilement obtenu par la résistance pourrait facilement être dilapidé par sa conception de la vie politique. Le mouvement islamique a contribué à la propagation d'idées conservatrices, à la restriction des libertés individuelles et au repli de soi de la société palestinienne. » Alors que Hamas a fait preuve d'une certaine ouverture politique, il persiste dans la fermeture sociale : pas une seule femme n'est apparue en son sein au niveau politique médiatique ou parmi les dirigeants contrairement à l'ensemble du mouvement national palestinien. Si El Qaîda se réclame alliée objective du Hamas, ce dernier ne revendique pas cette amitié. Il faut dire que les frères musulmans de Hassan El Banna est un adversaire idéologique féroce du wahhabisme saoudien d'où est issue l'organisation de Ben Laden. Le Hamas a réitéré son opposition à toute opération armée anti-israélienne hors des frontières de la Palestine. « Nous n'avons aucun intérêt à partir en guerre contre le monde entier », expliquait cheikh Yassine. Les dirigeants du Hamas considèrent leur combat comme une lutte nationale contre l'occupation, pas comme une participation à la lutte mondiale contre un Occident décadent... Le mouvement s'inspire de son cheikh qui avait déclaré « qu'aucun arabe ne peut dire que la résistance du peuple palestinien est du terrorisme ». « La catastrophe, avait-il ajouté, c'est lorsque le Premier ministre palestinien la qualifie de terrorisme qu'il veut éliminer. » C'est sûrement cette attitude qui a fait pencher la balance et donné une certaine audience au Hamas. Le cheikh avait aussi déclaré que « Mahmoud Abbas avait tort en pensant qu'il ne croyait pas en la solution militaire du conflit ». « Notre peuple se trouve en état de légitime défense. Lorsque nous combattons l'ennemi israélien en Palestine, nous combattons aussi l'Amérique qui le supporte matériellement et financièrement. » Le cheikh savait aussi tempérer son discours en se montrant moins tranchant : « Nous considérons le dialogue comme la meilleure solution à tous nos problèmes, mais lorsque le dialogue suit la mauvaise route, que peut-il valoir ? Si les circonstances changent, nous pouvons le reprendre. Nous ne sommes pas prisonniers de nos décisions », avait-il déclaré peu avant sa disparition. Ses lieutenants qui ont aujourd'hui de grandes responsabilités, s'inspireront-ils de cette volonté ou continueront-ils dans leur logique ? On pencherait vers la première hypothèse, car désormais c'est la politique qui prime et le Hamas est obligé d'en faire avec tout son lot de compromis, de diplomatie et de... sagesse, sinon on serait face à un dilemme : devoir choisir entre l'Etat et la religion. Parcours Le cheikh Ahmed Yassine était le dirigeant spirituel du groupe islamiste palestinien Hamas. Son année de naissance n'est pas connue précisément, mais lui-même indiquait 1936. Yassine a fondé le Hamas au début de la première Intifadha en 1987, l'appelant à l'origine l'Aile palestinienne de la fraternité musulmane. Presque aveugle, il était tétraplégique et se déplaçait en fauteuil roulant suite à un accident survenu à l'âge de 12 ans. Yassine est né dans le village d'Al Goura près de la ville d'Ashkelon, mais il a grandi dans un camp de réfugiés de la bande de Ghaza après que son village a été détruit pendant la guerre israélo-arabe de 1948 qui a suivi la création de l'Etat d'Israël. Yassine a étudié à l'université Al Azhar au Caire, en Egypte, après avoir suivi un collège d'enseignement général, malgré sa paralysie suite à son accident. La fraternité musulmane y avait été fondée, l'université étant un foyer d'islamisme et de nationalisme arabe, et Yassine la rejoint pendant ses études. Yassine déclarait régulièrement que « la terre d'Israël est consacrée pour les générations musulmanes futures jusqu'au jour du jugement. » Et que « ce chemin de paix prétendu n'est pas la paix et ce n'est pas un remplaçant du djihad et de la résistance. » La plupart des pays, à l'exception des Etats-Unis, ont fermement condamné l'assassinat de Yassine, critiquant son caractère extra-judiciaire.