Le procès réapparaît aussi bizarrement qu'il s'était éclipsé il y a cinq ans. Les avocats de la défense s'interrogent sur la réponse tardive de la Cour suprême. Question de timing ou non, le procès Khalifa réapparaît en tout cas aussi «bizarrement» qu'il s'était éclipsé de la barre il y a plus de cinq ans. Après que la Cour suprême ait enfin accepté les 54 pourvois en cassation introduits par le ministère public ainsi que les 24 autres introduits par les accusés, l'affaire sera rejugée à partir du 19 avril prochain près de la cour criminelle de Blida. Fait notable, des avocats de la défense considèrent «excessif» le temps pris par la Cour suprême pour accepter enfin les pourvois en cassation introduits pourtant depuis août 2007. «Il est aussi mystérieux que bizarre que la Cour suprême ait mis cinq ans pour répondre à la demande de pourvoi en cassation alors que des gens croupissent en prison. Je ne trouve pas d'explication à ce retard injustifié», fait remarquer maître Farouk Ksentini, avocat de la défense. L'importance du volume du dossier peut-elle justifier ce long retard pris en la matière ? «Pas du tout», tranche maître Miloud Brahim, lui aussi avocat de la défense dans cette affaire, dont les implications politiques ne sont plus à démontrer : «Dans une affaire comme celle de Khalifa où le volume est assez important, ça ne peut pas être moins d'un an mais ça ne peut pas aller au-delà de trois ans.» «La défense s'interroge légitimement sur le fait que la Cour suprême ait mis cinq ans pour programmer le procès en appel», estime l'avocat, tout en affirmant que «cela ne peut être lié à un problème de procédure». Y a-t-il l'ombre du politique ? Si les avocats s'abstiennent de ramener l'affaire sur ce terrain d'influence, il n'en demeure pas moins que le scandale Khalifa reste, dans la mémoire des Algériens, une histoire aussi secrète et complexe que le sont les affaires à enjeu de pouvoir. Le groupe Khalifa a «fleuri» à l'ombre du pouvoir politique, sauf que dans sa chute, «les gros bonnets» ont réussi curieusement à passer entre les mailles du filet de la justice, avaient estimé de nombreux observateurs et avocats. Dans cette scabreuse affaire, seuls les «lampistes» ont été jugés et punis. Maître Mokrane Aït Larbi estime «légitime» de s'interroger sur d'éventuelles pressions politiques «dès lors que dans notre pays, les juges ne sont pas indépendants». Le premier procès concernant la caisse principale d'El Khalifa Bank, qui s'est tenu début 2007, n'avait pas manqué de révéler les ramifications politiques de l'affaire et l'ampleur du préjudice économique. Les noms de hauts dignitaires du régime retentissaient dans les travées du tribunal criminel de Blida. Le défilé des hommes politiques de premier plan, hommes d'affaires, artistes et figures sportives cités comme témoins, a dévoilé l'implication politique en haut lieu de la hiérarchie du pouvoir. Le procès n'a pas pu répondre aux interrogations sur ce plus grand scandale financier. «L'instruction a été ficelée de sorte que des hauts responsables au sein du pouvoir soient épargnés», avaient dénoncé les avocats de la défense lors des plaidoiries. De nombreux hauts dignitaires du régime, civils et militaires, ont été cités lors des plaidoiries, mais rien à faire. La présidente de la cour s'en tenait à l'arrêt de renvoi. Durant le procès, les accusés, leurs avocats tout comme l'opinion publique étaient sans voix, lorsque le patron de la centrale syndicale, Abdelmadjid Sidi Saïd, affirmait à la face du tribunal avoir signé un faux procès-verbal, en sa qualité de président du conseil d'administration de la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS), décidant du placement des fonds de la Caisse à El Khalifa Bank, à l'insu des membres du conseil d'administration. «J'ai signé un faux et j'en assume la responsabilité», avait-il déclaré. La présidente de la cour, Mme Fatiha Brahimi, le rassure : «Tu es rentré témoin tu ressors témoin !» Le procès tourne à l'absurde, lorsque Mourad Medelci, ministre des Finances cité comme témoin aussi, a déclaré qu'«il n'était pas assez intelligent pour détecter la gravité de la situation. Quelques mois après, il a été promu chef de la diplomatie algérienne». Le chef du MSP et ancien ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Bouguerra Soltani, s'est dit devant la cour «être victime de sorcellerie». En somme, tout comme les accusés, les mêmes témoins seront aussi cités à la barre. Ça va être l'acte II de l'affaire El Khalifa Bank. La coïncidence du procès en appel avec la tenue des élections législatives promet des rebondissements. Il faut rappeler que jusque-là le procès de l'empire Khalifa concernait seulement la caisse principale de Khalifa Bank. Il devrait être suivi par d'autres affaires concernant les filiales du groupe. L'énigmatique extradition de Moumen Khalifa Condamnée à perpétuité par contumace, le principal accusé dans l'affaire Khalifa, le patron du groupe Abdelmoumen Khalifa, réfugié à Londres, reste toujours hors de portée de la justice algérienne. Les multiples promesses du ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, faites à intervalles réguliers que «l'extradition de Khalifa est imminente» sont contredites par le temps. Maître Farouk Ksentini va jusqu'à dire qu'il y a «de fortes possibilités que la demande d'extradition n'aboutisse pas en raison de la frilosité de la justice anglaise qui reste très pointilleuse». Cependant, la présence de Khalifa à son procès est-elle vraiment souhaitée ? Pas si sûr.