En management, nous avons une prolifération de recherches sur la réussite des grandes entreprises mondiales qui ont radicalement transformé le paysage économique de leurs pays. Les nations développées n'ont plus le monopole sur la création d'entreprises compétitives qui deviennent des champions internationaux. Certes, nous avons des firmes comme 3 M, Boeing, GE, Merck, Unilever, Sony, Michelin et autres qui ont façonné en leur temps leurs contextes, en faisant reculer les frontières de la science et de la technologie. Mais de nos jours, nous avons des cas comme Samsung, Hyundai, Huaweï, Mittalsteel, Embraër, venus du Grand-Sud, se hisser au niveau puis surpasser les entreprises mondiales que beaucoup croyaient invincibles. Leurs succès avaient mis à nu les faiblesses des théories de développement économiques qui stipulaient qu'il est impossible pour les pays en voie de développement d'accéder au rang de pays industrialisés. Ces entreprises ont non seulement conquis des parts de marchés internationaux impressionnantes, mais elles ont surtout participé grandement à propulser leurs nations au rang de pays émergents. Nous allons extraire de cette vaste littérature les idées qui font presque consensus, les pratiques qui sont les plus communes aux entreprises de classe mondiale. Il n'est pas normal que de nombreux détails soient occultés, face à la complexité et à la diversité des expériences. En second lieu, nous allons évacuer l'environnement externe, même s'il est d'une importance vitale. Il suffit de rappeler que dans notre contexte national, il est pratiquement impossible d'ériger une entreprise publique ou privée de classe mondiale tant les contraintes sont difficilement contournables. Mais rien n'indique que dans quelques années, des dirigeants visionnaires ne vont pas inverser la tendance. Quel qu'il en soit, une équipe managériale illuminée met en place des conditions de succès. Si le milieu externe est défavorable, elle sera une grande entreprise au niveau national. Par contre, s'il se révèle propice, elle se hissera au rang d'entreprise de classe mondiale. Y a-t-il des pratiques pour devenir un champion mondial ? Beaucoup de travaux furent consacrés à la question. La plus célèbre étude, pour ne citer que celle-ci, a été menée par deux professeurs de la Stanford University (Collins et Porras : bâties pour durer : les entreprises visionnaires ont-elles un secret ?). Mais nous en avons une abondante littérature dans ce domaine. L'essentiel est de se focaliser sur les caractéristiques communes des entreprises performantes. Même si les histoires et les cultures dans lesquelles évoluent ces firmes sont très différentes, le management n'est pas dépourvu d'outils pour créer des harmonies entre les entreprises et leurs milieux. Mais ceci est un autre thème qui a aussi son corps de connaissances, ses résultats et ses limites. Il y a plusieurs mythes qui s'estompent dans l'analyse de l'essence des réussites des entreprises championnes. Le plus important est celui du leader charismatique qui arrive à galvaniser l'ensemble des membres autour de lui. Mais par contre, les entreprises championnes ont les caractéristiques suivantes : 1. Elles se dotent d'une mission grandiose qui exalte l'ensemble des membres à se surpasser. Une société pharmaceutique s'est fixé comme devoir : «Améliorer la santé et le bien-être des citoyens dans le monde entier». Une entreprise d'électronique se prescrit l'épreuve suivante : «Figurer parmi les trois entreprises les plus innovantes au monde». Cette mission est fixée lorsque l'entreprise est encore jeune, une PME et devient le but ultime vers lequel tout le monde travaille. Lorsqu'on pense petit et faible, on le restera tout le temps ; 2. Enraciner une culture d'entreprise basée sur des valeurs que tout le monde doit respecter et mettre en place des mécanismes pour s'assurer que tout l'ensemble des membres les respecte. Une entreprise a précisé ainsi ses préférences : notre valeur n°1 c'est la satisfaction client, notre valeur n°2 c'est l'amélioration ininterrompue de la qualité ; notre valeur n°3 est le développement de nos ressources humaines à un niveau plus élevé que celui de la compétition, etc. Par la suite, l'ensemble des outils (stratégie, budgets, organisation, etc.) est coordonné et orienté vers la matérialisation des valeurs et de la mission ; 3. Créer une culture interne qui encense et récompense la communication, les rites spécifiques, le respect des valeurs, le développement des capacités de tous, mais qui se sépare des individus peu adaptés aux exigences d'une telle culture ; 4. Promotion et développement interne : l'entreprise devient sa propre école en cherchant les formations techniques à l'extérieur, mais en inculquant les valeurs et les normes de fonctionnement en interne ; 5. Encourager les personnes à se fixer à tous les niveaux des objectifs opérationnels grandioses. Il y a donc une gestion par objectifs à tous les échelons et des essais de se surpasser chaque fois qu'un niveau est atteint ; 6. Utiliser l'intelligence de tous. Les entreprises performantes développent et utilisent les cerveaux de tous ses membres et non seulement ceux de la haute direction. Dans une entreprise pareille, un simple travailleur peut donner une idée qui devient un important objectif opérationnel ou même stratégique ; 7. La planification stratégique est très flexible. On recueille les idées de tous, on essaye plusieurs projets et on retient ce qui fonctionne. La planification stratégique trop quantitative est exclue. Cependant, on est surtout focalisé sur le long terme ; 8. Privilégier la connaissance et la satisfaction du client, la qualité, l'amélioration permanente des personnes, des produits et des processus et investir massivement en recherche et développement ; 9. Le respect de tous par la haute direction qui doit donner l'exemple en termes de respect des valeurs, d'écoute, du droit à l'erreur, d'encouragement de l'initiative et d'amélioration du niveau de vie et des conditions de travail au fur et à mesure que l'entreprise s'améliore ; 10. Un meilleur partage des résultats de la réussite. Pour retenir les meilleurs, il faut figurer parmi les entreprises qui partagent le mieux les fruits de l'amélioration des performances. Les membres de l'entreprise perçoivent cela, l'apprécient et agissent en conséquence ; 11. La focalisation excessive sur l'évolution des besoins et la satisfaction des clients. L'ensemble des outils et des indicateurs est orienté pour baliser la démarche de l'entreprise en vue de faire du client sa finalité ultime. Peut-on s'inspirer de telles pratiques ? Lorsque vous évoquez des expériences de ce genre qui paraissent simples à nos dirigeants, tout un chacun se presse pour vous dire qu'il y adhère pleinement et qu'il travaille en ce sens depuis de nombreuses années. Mais lorsqu'on diagnostique en profondeur la culture, les processus et l'ensemble du mode de fonctionnement de nos entreprises, nous découvrons, le plus souvent, qu'elles fonctionnent avec des modalités tout à fait contraires à ces intentions. On évite de trop former pour retenir des ressources humaines peu compétentes. L'écoute d'idées neuves vient d'une équipe restreinte autour du premier responsable, si ce n'est du seul dirigeant. L'objectif le plus grandiose s'arrête à faire le maximum de profits en très peu de temps. La perspective du long terme est ignorée. La fixation d'objectifs s'arrête au niveau de la production et des ventes. L'idée d'affronter des concurrents internationaux pour se hisser à leur niveau est occultée. Les entreprises efficaces fonctionnent comme une horloge. Elles ont créé des mécanismes et des processus qui font qu'on peut s'adapter à n'importe quelle situation nouvelle. Il est vrai qu'une entreprise publique algérienne peut difficilement se comporter comme une entreprise championne, car le pouvoir de décision managériale lui échappe (nominations, rémunération, choix des activités à développer, etc.). Elle est condamnée à être sous-performante. Dans plusieurs pays (Chine), les grandes entreprises, qui demeurent publiques, ont plus de marge de manœuvre pour fonctionner efficacement. Malgré un environnement difficile, nos entreprises privées ont plus de latitude de se rapprocher des entreprises championnes. Une poignée d'entreprises privées algériennes sont proches de l'être. Mais beaucoup reste à faire aussi bien au niveau des processus que des personnes. Nous savons deux choses sur le rôle de notre Etat dans le processus de promotion d'entreprises championnes : En premier lieu, pour booster nos entreprises, il doit investir massivement dans l'amélioration qualitative des ressources humaines, du climat des affaires, la canalisation des ressources vers les entreprises performantes, la modernisation managériale et la densification du tissu de PME/PMI. Nous avons surinvesti dans les équipements collectifs. La réponse des pouvoirs publics est prévisible : nous devrions rattraper un grand retard. Ceci est vrai. Mais le retard existe dans tous les domaines. Quand allons-nous mettre à niveau nos ressources humaines et le management de nos institutions ? Quand l'environnement des affaires sera-t-il propice au développement des champions ? Sans cela, nous nous condamnons à être exportateurs d'hydrocarbures et importateurs de tout. Les récents choix économiques ont retardé le décollage économique en Algérie ; En second lieu, vu la culture ambiante actuelle, notre Etat ne fera que peu de choses en ce sens, condamnant nos entreprises publiques et privées performantes à des améliorations qui seront nettement insuffisantes pour figurer parmi l'élite mondiale.