L'Etat décide d'un énième assainissement des entreprises publiques. L'objectif de cet écrit n'est pas de débattre de l'opportunité d'une telle mesure ni de ses probabilités de succès. La science et l'expérience mondiale ont déjà tranché la question. Mis à part une poignée d'entreprises qui vont s'améliorer, la vaste majorité va se retrouver à la case départ dans trois ou quatre ans. Personne, nulle part dans le monde, n'a su faire fonctionner efficacement un vaste secteur public qui investit les secteurs non stratégiques comme le tourisme, l'agroalimentaire, le bâtiment, etc. Ceci n'exclut guère la possibilité de disposer d'un secteur public réduit aux entreprises stratégiques, de service public ou de monopoles naturels. Le cas de la Chine est édifiant. Le pays privatise graduellement ses grands ensembles pour améliorer davantage son efficacité économique. Mais la taille, les activités et les conditions d'efficacité d'un secteur public seront débattues ultérieurement. Nous allons commenter quelques mécanismes financiers qui seraient, aux yeux de plusieurs analystes, les grands coupables des déficits des entreprises publiques. La nouveauté des assainissements actuels réside dans les fonds dégagés pour moderniser les équipements de production. Beaucoup pensent que c'est suffisant, car les dispositions passées avaient exclu cette éventualité. Mécanismes financiers évoqués Les financiers ont convaincu les responsables publics que les causes essentielles des déséquilibres des entreprises publiques sont surtout d'ordre pécuniaire. Une «culture managériale» très particulière s'est ancrée dans les habitudes de penser et de faire des entreprises publiques. On a rationalisé un processus de raisonnement logique qui extrait l'entreprise de ses responsabilités. Parmi les mécanismes souvent décriés par les financiers nous notons : 1- Les entreprises publiques ont été érigées avec des fonds propres insuffisants (10 à 20%) de l'investissement global ; 2- Les assainissements répétés ont surtout été des écritures comptables ; aucun argent frais n'a été mis à la disposition des entreprises ; 3- L'Etat ne finance pas les investissements de modernisation ; 4- Les injonctions sont souvent source de surcoûts et de déséquilibres. Les mécanismes de gestion sont si complexes qu'on peut évoquer n'importe quel mécanisme ou cause très marginale pour justifier son ou ses échecs. Il ne faut point faire d'amalgame dans ce cas. Nous avons quelques entreprises publiques superbement bien gérées. Nous avons été étonnés, dans nos différents diagnostics, de trouver quelques entreprises publiques avec des pratiques managériales qui n'ont rien à envier aux entreprises internationales. Malheureusement, ces cas sont loin d'être nombreux. Ils représenteraient 10 à 15% du total des entreprises, le reste ayant des systèmes de management si défectueux que les assainissements les plus coûteux ne peuvent rien contre leurs dérapages. Alors, les causes évoquées sont des justifications vides de sens. Prenons le cas des insuffisances de fonds propres au démarrage des entreprises publiques. Beaucoup de nos financiers ne savent pas que nos entreprises sont dans la norme internationale. Une analyse de la structure financière des entreprises mondiales montre que leur financement est assuré entre 80 à 85% par des crédits bancaires. Les fonds propres représentent moins de 20% du total de l'actif. Cette situation est la même au démarrage qu'en cours de croissance. Cet état de fait est très normal. Une bonne entreprise utilise toutes ses capacités, rembourse ses intérêts et se développe normalement. Il en est de même pour un pays dont la vaste majorité des entreprises maîtrise leur management. Le développement de la Corée du Sud a été financé en grande partie par l'endettement extérieur. On apprend aux managers financiers qu'une entreprise non endettée est une entreprise mal gérée. Elle ne profite pas de l'effet levier (la différence entre la rentabilité des projets et les taux d'intérêt bancaires). L'excuse d'un endettement trop élevé n'est pas recevable d'un point de vue managérial. Le second reproche concerne les jeux d'écriture comptables qui ne donnent point à l'entreprise des ressources pour se développer. Là aussi, il faudrait faire la part des choses. Effacer les dettes d'une entreprise n'est pas rien. D'énormes ressources financières avaient été dépensées. On les efface. C'est l'argent du contribuable. Dans les pays développés l'Etat rééchelonne et/ou garantit de nouvelles dettes mais le Trésor ne prend pas en charge les fonds dépensés par les entreprises publiques ou privées. Racheter les dettes d'une entreprise, même publique, par le Trésor est un fait rarissime, réservé aux entreprises hautement stratégiques et l'opération doit recevoir l'aval du Parlement. Nos responsables font la fine bouche par rapport à une opération d'une extrême rareté dans le monde (effacement des dettes). Par ailleurs, le rachat des dettes ou la réévaluation des actifs font que l'entreprise devienne bancable et donc éligible à de nouveaux crédits pour se développer, même si toutes les entreprises n'ont pas profité de ce second dispositif. Enfin, une objection récurrente concerne l'absence d'investissements de modernisation au cours des assainissements passés. Mais les entreprises ont été dotées d'actifs dans le passé. Où sont passés les amortissements ? Ces derniers sont supposés reconstituer les actifs lors de leur détérioration. On les investit prudemment de sorte à en disposer le moment voulu. Mais la plupart de nos entreprises avaient dilapidé ces ressources et responsabilisent les pouvoirs publics sur leurs propres défaillances. C'est l'équivalent d'un fermier qui se nourrit de ses grains de semences. Il n'aura plus rien à planter pour semer. Les véritables causes Les origines de la crise de la défaillance d'une grande partie de nos entreprises publiques sont ailleurs. La finance d'entreprise a comme fonction d'enregistrer et de garder la mémoire des résultats des décisions prises. Il est rare que les aspects financiers constituent en eux-mêmes les causes des défaillances. Les statistiques mondiales des faillites montrent que les modes de financement constituent moins de 7% des banqueroutes. Alors, quelles sont les genèses essentielles des dysfonctionnements ? La première cause causante est l'instauration d'une culture managériale déconnectée des performances. Tout concourt à rendre l'efficacité des entreprises secondaires par rapport à des considérations administratives ou politiques. Ainsi, les managers ne sont pas nommés en fonction de critères transparents, objectifs et universels qui sont : la formation, l'expérience et les résultats prouvés au cours des leur parcours de gestionnaires. Les managers se disent consciemment ou inconsciemment «Notre carrière dépend très peu de nos performances. Mais on nous juge surtout sur l'obéissance aux injonctions.» Alors la mort dans l'âme, ils vont consacrer tous leurs efforts à suivre des directives plutôt que de gérer, même s'ils détestaient de telles pratiques. Plutôt que d'enraciner une culture d'efficacité, nous avons encouragé des procédés de soumission aux dictats administratifs. Nous avons là l'essence de la faillite du secteur public économique. Cette «loi» est valable partout ailleurs. Dès lors que le secteur public dépasse une certaine taille, il sera géré par des mécanismes administratifs au lieu et place des normes d'efficacité. Par ailleurs, les chaînes de prise de décisions et de commandement sont longues, complexes et dotées de logiques trop variables. La forte centralisation et la variation des priorités rendent le management stratégique et opérationnel des entreprises publiques plus risqué et plus aléatoire qu'il ne devrait l'être. L'immixtion dans les priorités de gestion est si forte que la décision interne est paralysée. Comment garder nos meilleurs managers dans les entreprises publiques lorsque les firmes internationales les attirent avec des salaires cinq à dix fois supérieures et nos entreprises ne sont pas habilitées à réagir ? Conclusion Au niveau macroéconomique nous avons développé une culture qui occulte l'input. On analyse uniquement l'output. Une croissance économique de 6% est jugée bonne même si l'Etat injecte 30% du PIB pour l'obtenir. Nous avons là une caractéristique fondamentale de l'analyse macroéconomique en Algérie. Mais nous avons une autre défaillance dans nos analyses microéconomiques. On ramène tout à la dimension financière, alors que cette dernière n'est qu'une fonction d'enregistrement des conséquences des décisions managériales, marketing, production et le reste. L'essence des problèmes de notre secteur public réside dans sa centralisation, sa culture bureaucratique et l'éviction de l'efficacité comme critère suprême de promotion et de rémunération des ressources humaines qui le composent. Si on n'introduit pas une révolution managériale et des politiques publiques d'un genre nouveau dans ce secteur, aucun montant d'assainissement ou d'investissement ne serait suffisant pour le remettre sur les rails. Pour guérir un mal, il faut s'attaquer aux causes non aux symptômes. Les structures financières sont des symptômes qui éclairent très peu sur les causes. La culture managériale, qui s'est enracinée dans ce secteur, est la cause réelle de ses déséquilibres. Il faudrait donc changer radicalement cette dernière pour espérer un retour sur investissement acceptable. Mais si l'on espère que les mêmes personnes et les mêmes causes, dotées de plus de fonds, produiront les résultats différents, on se leurre profondément. Alors la véritable question est la suivante : «La culture managériale va-t-elle être profondément modifiée ou pas au sein de nos entreprises publiques ?»?