Plus que le massacre à huis clos qui se déroule en Syrie ou les manifestations de colère en Egypte, un autre cauchemar a tourmenté les chancelleries occidentales ces derniers jours : le rapatriement, par des ponts aériens improvisés et coûteux, des dizaines de milliers de leurs concitoyens qui se la coulaient douce, aux Maldives, où des manifestations secouent la capitale depuis deux semaines. L'éclatement d'un autre foyer de tension, inattendu, à 500 km de l'Inde, a surpris l'opinion publique. Destination de rêve pour des millions de couples en quête de vacances romantiques, cet archipel de 26 atolls, soit 1200 îles féériques, est secoué depuis deux semaines par une violente crise politique. Le grand explorateur maghrébin Ibn Battuta, qui avait vécu sur cet archipel en 1342, a dû se retourner dans sa tombe en voyant les Maldiviens, des musulmans sunnites très paisibles, devenir des manifestants déchaînés qui mettent le feu aux postes de police et aux établissements gouvernementaux. Niché au milieu de l'océan Indien, au sud de l'Inde, cet ensemble d'îles splendides, dont seulement 200 sont habitées en permanence, avait assisté à la naissance d'un processus démocratique dès 2008, lorsqu'un jeune activiste écologiste fut élu Président. Mohamed Nasheed, sur qui pèse aujourd'hui un mandat d'arrêt lancé par le nouveau gouvernement, ne se doutait pas qu'il allait quitter le pouvoir de manière brutale. Le 7 février dernier, il avait annoncé, à la télévision d'Etat, sa démission, suscitant de nombreuses interrogations parmi ses concitoyens et l'opinion publique internationale. Quelques heures après, le Président déchu est revenu sur ses propos, révélant avoir été «forcé par l'armée» à annoncer son retrait du pouvoir. Répression «Des officiers de la police et de l'armée m'ont obligé à me démettre, sous la menace des armes», a dénoncé ce dernier. Entouré de ses fidèles, Nasheed a sillonné les rues de la capitale, Malé, pour protester contre son «limogeage» et demander à réintégrer son poste. Ses revendications ont été accueillies par une féroce répression menée par la police, et l'ex-Président fut blessé. L'organisation pour la défense des droits de l'homme, Amnesty International, a dénoncé la répression violente contre les manifestants et appelé les autorités maldiviennes à empêcher les forces de sécurité de recourir à la violence contre les sympathisants du Président déchu. Le clan de l'ancien président, Maumoon Abdel Gayoom, qui, pendant trois décennies, a dirigé le pays d'une main de fer, est accusé d'avoir fomenté des mutineries au sein de la police pour mener le coup d'Etat et chasser du pouvoir le premier chef d'Etat élu démocratiquement dans ce petit pays de l'océan Indien. Son successeur n'est autre que le vice-président, connu pour avoir fait carrière à l'ONU, notamment au sein de l'Unicef. Promettant de former rapidement un gouvernement d'unité nationale, Mohamed Waheed, a multiplié les déclarations dans les médias internationaux pour rassurer les capitales occidentales. Et même si des pays comme l'Inde et les Etats-Unis se sont empressés de reconnaître officiellement le nouveau gouvernement, le Parti démocrate maldivien, famille politique de Mohamed Nasheed, ne se résigne pas au fait accompli et poursuit les manifestations, malgré l'inégalité de force entre ses fidèles et les agents de police chargés de mater cette contestation. Sunnite malékite Les îles Maldives qui, jusque-là, faisaient parler d'elles uniquement pour leurs sites uniques, lieu de villégiature très prisé pour ses hôtels de luxe nichés sur ses plages de sable fin blanc, dans des atolls inhabités et laissées au seul plaisir des touristes, a défrayé la chronique avec ce brutal changement de pouvoir. Ce pays de 320 000 habitants, qui vit de tourisme et d'exportation de poisson, a toujours été synonyme de havre de paix, où les amoureux qui pouvaient se le permettre allaient revigorer leur passion. Les tours opérateurs offrent à longueur d'année des paquets de séjours alléchants, dans les complexes de luxe bâtis dans les îles inhabitées. La population locale, sunnite malékite, ne se mélange pas aux touristes. L'islam étant officiellement religion d'Etat, la consommation d'alcool y est interdite, sauf pour les estivants tenus à l'écart des habitants, dans leurs atolls. Récemment, une grande polémique a enflammé le Parlement maldivien, lorsque des partis intégristes ont demandé que les centres de bien-être et de massage dans les hôtels de luxe soient fermés car, selon eux, il s'agirait de «lieux de prostitution» masqués. Pour calmer cette fureur des fanatiques, le ministère du Tourisme a ordonné à tous les hôtels de l'archipel de fermer leurs spa et centres de soins esthétiques et de massage. Quelques jours après, le gouvernement a dû revenir sur cette décision drastique, conscient qu'elle pouvait nuire aux recettes en provenance du tourisme qui font vivre le pays. D'ailleurs, les proches du Président évincé affirment que sa chute a été orchestrée par ses détracteurs qui lui reprochent de vouloir ouvrir le pays aux us et coutumes occidentaux. Ibn Battuta Les habitants de ces îles magnifiques étaient bouddhistes avant qu'un riche marchand berbère, Abou Barakat Youssef El Barbari, venu du Maroc, ne réussisse à les convertir à l'islam. C'était en 1153, comme le raconte Ibn Battuta dans son précieux ouvrage Tuhfat al-nuzzar fi ghara'ib al amsar wa-‘adja'ib al-asfar. L'explorateur arabe qui avait découvert les Maldives en 1342, plusieurs siècles avant des voyageurs européens comme Vasco De Gama, y raconte minutieusement la vie des Maldiviens, apportant un soin infini à la description de leur mode de vie, de leurs rites et traditions. Lui qui, nommé au poste prestigieux de cadi (juge), parvint à faire appliquer la charia sur les îles de l'archipel, sans réussir toutefois à imposer le voile aux femmes. Les Maldiviennes se promenaient alors couvertes d'un pagne de la ceinture aux pieds, laissant la poitrine nue. Subjugué par la beauté de ces insulaires au port gracieux, Ibn Battuta, qui ne dédaignait pas la polygamie, en avait épousé plusieurs avant de les répudier, comme le voulait la loi, avant de quitter l'île. Dans son long récit, il décrit également le caractère doux et pacifique des hommes de l'archipel. Autre héritage des premiers musulmans qui ont foulé ces îles : la langue. Les Maldiviens s'expriment dans un langage qui s'inspire de l'arabe, du persan, du cingalais (le Sri-Lanka est tout proche), de l'anglais, du français… La langue écrite se sert de l'alphabet arabe.