Depuis la levée des entraves politiques et législatives à la création des nouveaux partis politiques, consacrée par la récente loi sur les partis amendée, une espèce de frénésie s'est emparée de la classe politique. Qu'il s'agisse des hommes et des femmes politiques qui ont choisi ce métier par vocation, par passion ou par opportunisme. Les nouveaux candidats convertis à la politique n'ont pas attendu, pour nombre d'entre eux, la promulgation des textes législatifs en la matière pour annoncer la création de leurs partis. Au rythme où vont les choses, il faudra s'attendre à un véritable embouteillage durant la campagne électorale et le jour du scrutin, avec le risque certain de pollution élevée de l'environnement politique et électoral propre à toute situation de congestionnement de l'espace, synonyme d'inaction et de régression. Face à l'absence de visibilité du champ politique, les partis, qu'ils soient du pouvoir ou de l'opposition, sont déjà entrés en campagne électorale. Dans une atmosphère joyeuse de rentrée des classes, les nouveaux partis brigueront les suffrages populaires dans des circonstances qui apparaissent tout bonnement surréalistes et absurdes quand on sait que ces formations, encore à l'état fœtal, n'ont, pour la majorité d'entre elles, que quelques semaines d'existence. Mais qu'est-ce qui fait donc courir tout ce monde dans une compétition électorale où les places sont déjà prises et où il n'existe objectivement aucune chance de bousculer les «équilibres» mis en place par le système ? Cet engouement qui dépasse toutes les prévisions, quand on voit ces escouades de partis qui occupent le devant de la scène politique à la faveur de la tenue de leurs congrès constitutifs, est-il un signe de vitalité politique retrouvée ou cache-t-il une arrière-pensée politique du pouvoir ? Pour nombre d'observateurs, l'objectif est clair : on cherche, à travers cette overdose de partis, à mieux contrôler la vie politique et partisane. Alors que dans les grandes démocraties, la force du système politique repose sur la structuration de la vie et de la compétition politiques autour de partis organisés en deux ou trois courants homogènes, qui fédèrent toutes les sensibilités traversant la société, les pouvoirs publics, en Algérie, ont opté pour la politique du nombre au détriment de la qualité. L'expérience de la presse écrite privée, dont on a vu le spectacle désolant qu'offrent tous ces titres qui n'existent que par la volonté du pouvoir, semble faire tache d'huile et avoir fortement inspiré la décision de faciliter l'agrément de nouveaux partis politiques. On imagine déjà comment les pouvoirs publics vont s'y prendre pour gérer tous ces partis, qui vont sans doute s'impliquer dans le scrutin et la campagne électorale, même s'ils savent qu'ils n'ont aucune chance d'entrer au Parlement. Avec trois ou quatre partis en compétition, les autorités avaient déjà beaucoup de peine à contrôler la situation en matière de gestion de la campagne électorale, d'organisation et de supervision du scrutin. Qu'en sera-t-il avec 20 ou 30 partis ? Les problèmes d'affichage, de la répartition du temps d'antenne dans les médias audiovisuels, d'affectation des salles pour les meetings seront démultipliés. Avec un tel décor et un tel aréopage de partis dont on arrive même pas à retenir les sigles, il ne faudra pas s'attendre à une campagne électorale relevée au plan du débat et de la confrontation des programmes, réduits, pour la plupart d'entre eux, à des promesses électorales fantaisistes et délirantes. C'est, selon toute vraisemblance, le but recherché par l'émiettement de la carte politique. C'est le meilleur moyen pour empêcher l'émergence de forces politiques alternatives à la clientèle traditionnelle du pouvoir, incarnée par les partis de l'Alliance présidentielle. Le label «démocratie» ne s'acquiert pas à coups d'addition et de soustraction de sigles de partis politiques comme on cherche à le faire accroire chez nous. La démocratie c'est une culture, une conviction chevillée au corps, l'adhésion à des principes républicains d'alternance au pouvoir, de respect de la volonté populaire.