Le phénomène de la contrebande dans les zones frontalières est et ouest du pays va crescendo. Pas moins de 4625 affaires ont été traitées en 2011 par les garde-frontières de la Gendarmerie nationale. «Ce qui représente près de 40% de la criminalité organisée enregistrée durant l'année 2011. Soit une hausse de 2% par rapport à l'année passée», révèle la Gendarmerie nationale. Les trois marches du sinistre podium de la contrebande reviennent respectivement aux wilayas de Tlemcen avec plus de 2000 affaires, 800 à Tébessa et 660 à Souk Ahras. Trois régions dont le dénominateur commun est la situation géographique frontalière avec le Maroc pour la première et la Tunisie pour les autres. Les produits «exportés» par les contrebandiers vers ces pays varient de la bière au sucre en passant par la semoule et le gasoil, les véhicules tous poids confondus. Et si la courbe de ce trafic frontalier continue son ascension d'une année sur l'autre, il n'en est pas de même pour les fraudeurs. Ainsi, ils étaient 1697 contrebandiers à être arrêtés en 2011 contre 2130 en 2010, soit une baisse de 20%. Cette situation s'explique par le risque qu'encourent les trafiquants aux frontières, qui dissuadent l'intervention humaine et encouragent par conséquent les sorties des produits à passer à l'autre côté des frontières algériennes. Quant aux principaux produits, les unités de la Gendarmerie nationale ont procédé, durant la même période à la saisie de 1 659 840 litres de carburant, 215 748 tonnes de produits alimentaires et 2103 têtes de cheptel. A un degré moindre, les Douanes algériennes ont saisi en 2011 à Annaba, El Tarf et Souk Ahras 20 000 litres de carburant. A cela il faut ajouter des quantités similaires, sinon plus, qui ont réussi à passer à travers les mailles des services de sécurité. Pis, tous ces produits sont subventionnés directement et indirectement par l'Etat. En effet, le prix réel d'un litre d'essence est de près de 60 DA, celui du gasoil de près de 50 DA/l, ceux du sucre et l'huile respectivement de 140 DA/kg et de 180 DA/l. Quant au cheptel ovin, bovin et caprin, la subvention est indirecte puisque les éleveurs sont aidés sur l'aliment du bétail. Les émeutes qui avaient secoué, en janvier 2011, le pays après une augmentation des prix du sucre et de l'huile avaient poussé le gouvernement à décider des mesures en faveur du soutien des prix de ces deux produits, qui lui avaient valu 26 milliards de dinars, selon le ministère du Commerce. Une manne qui a profité, outre aux Algériens, aux Tunisiens, aux Libyens et même aux Marocains. Le printemps arabe : l'autre aubaine Et si la contrebande a toujours existé aux frontières est et ouest du pays, elle s'est intensifiée davantage lors des chaos qu'ont connu nos voisins de l'Est, en l'occurrence la Tunisie et la Libye. En effet, sinistrées par l'absence totale d'approvisionnement en produits alimentaires de première nécessité, les familles victimes des conflits armés du Printemps arabe ont eu recours à la contrebande pour subvenir à leurs besoins alimentaires et énergétiques. Il suffisait d'avoir un engin roulant pour être client du carburant de contrebande. Il n'y a pas un type de consommateur particulier à la frontière tunisienne. Tout le monde est consommateur, du citoyen, gendarme ou policier au transporteur routier, en passant par les chauffeurs de taxi. Avec des prix hors de portée, une frange importante de la population tunisienne a jeté son dévolu sur le gasoil, le sucre, la semoule et l'huile algériens. Il n'y qu'à faire un tour de l'autre côté de la frontière pour le constater. Des jerricans de différents volumes étiquetés «gasoil algérien» sont exposés en évidence le long des routes de Tunisie. De même pour les denrées alimentaires, les «consommateurs» tunisiens reconnaissent tous la qualité du carburant et des produits alimentaires algériens par rapport aux leurs, très chers durant cette période de chaos. En revanche, les marchés locaux de Souk Ahras et Tébessa sont inondés de divers produits illicitement introduits de Tunisie via le troc tels les confiseries, les épices et les pâtes. Il ne peut en être autrement pour des villes situées à quelques encablures d'une frontière. Devant cette situation très complexe dont l'incidence sur l'économie nationale est immédiate, la question que d'aucuns se posent est de savoir si l'Etat a pris les dispositions nécessaires. Existe-t-il une réelle volonté politique pour empêcher les trafiquants de tout poil de se sucrer à ses dépens ? Les efforts conjugués de la Gendarmerie nationale et des Douanes algériennes, certes louables, demeurent insuffisants devant la voracité des contrebandiers.