Normalement, c'est le boycott du RCD des prochaines élections législatives qui aurait dû faire débat sur les plateaux de la télévision nationale. Cette décision du parti de Saïd Sadi, à un moment où on présente de partout cette échéance électorale comme un événement historique qui va bouleverser le mode de fonctionnement de nos institutions parlementaires, est en soi un fait d'actualité qui se démarque des adhésions unanimes et nombreuses au projet de réformes lancé par Bouteflika et qui par conséquent mérite d'être analysé, du moins commenté. Mais aucune des émissions politiques qui se sont intéressées à la consultation électorale du mois de mai prochain n'a eu l'idée d'inviter un représentant du RCD pour en savoir plus sur les motivations qui sous-tendent cette prise de position, et par là même éclairer l'opinion public sur un acte éminemment politique, qui est loin d'avoir été pris à la légère. On peut être d'accord ou pas avec la démarche de ce parti qui nourrit ses propres convictions et sa vision militante sur l'instauration de la démocratie telle que souhaitée par les Algériens, mais c'est assurément une grave erreur de la part du service politique de la télé que de vouloir marginaliser encore davantage une expression partisane qui a du poids et qui, à l'évidence, a sa place dans notre société. Le RCD, il ne faut pas l'oublier, est un parti qui a ses racines dans le combat démocratique qui remontent à loin, et qui a fait de la cause républicaine une action permanente et l'essence même de son activité politique. Nombreux sont les démocrates dignes de ce nom, issus de la société civile, du milieu estudiantin, associatif ou syndical, qui se reconnaissent dans son mouvement pour les idées qu'il développe et surtout le projet de société qu'il défend : moderniste, universaliste. Pourquoi donc ignorer de manière aussi flagrante une entité militante qui fait contrepoids aux dérives du système, même si elle ne possède plus aujourd'hui, pour diverses raisons, la force de persuasion qu'elle avait encore dans un passé récent ? Le RCD fait-il à ce point peur aux tenants du système qu'il faille le réduire, médiatiquement parlant, à néant ? En tant que service public, la télévision n'a pas le droit, en s'invitant presque par effraction dans le débat politique national, de faire dans les préjugés calculés pour justifier son jeu sélectif. Elle commet une fois de plus un grave impair idéologique et professionnel en portant atteinte à cette devise chère (mais jamais appliquée) au ministre de la Communication qui veut que toutes les sensibilités aient le droit de s'exprimer sur le petit écran. En tout cas, s'il y a méprise dans le choix des intervenants politiques, elle est loin d'être innocente. Elle participe même, diront certains observateurs, de cette logique du pouvoir qui rend dissident tout mouvement de contestation qui ne va pas dans le sens du poil. Au demeurant, lorsque l'Unique assiste sans répercuter la moindre image ni formuler la moindre critique sur ce que vient de commettre comme outrage politique la deuxième personnalité du parti d'Ouyahia à l'encontre du RCD, il y a de quoi se poser des questions sur les connivences qui se nouent au gré d'une actualité électorale qui a tendance à s'emballer. Que veut démontrer Seddik Chihab en tirant à boulets rouges sur ce dernier de la manière la plus infâme, allant jusqu'à considérer son agrément - au même titre que celui du FIS dissous - comme une grave dérive. Quel est le but recherché ? Sans vouloir s'immiscer dans les batailles de tranchées qui animent la scène politique souvent de manière très sournoise et pas très propre, l'énormité du premier responsable du RND dans la capitale traduit en fait un état d'esprit moulé dans l'arrogance et l'impunité du seul fait d'appartenir aux sphères dirigeantes. Autrement dit, si Chihab qui a gravi les échelons de manière vertigineuse sans avoir un parcours militant correspondant, s'est permis de se lancer dans une telle outrance, c'est parce que dans son parti on entretient la culture de la pensée unique qui n'a rien à envier à celle des années de plomb, avec de surcroît cette certitude, formalisée par Ouyahia en personne, que le RND est bien l'unique solution de l'Algérie et qu'en dehors de lui point de salut. Ce n'est pas tellement important s'il s'agissait d'un simple slogan de campagne, mais le paradoxe insupportable relève du fait que c'est un parti créé de toutes pièces par l'administration, dans une période de grande tourmente, un parti inventé pour dégrader le FLN devenu trop impopulaire, un parti renfloué par des militants-fonctionnaires comme pas possible pour gagner rapidement des élections sur des critères de fraude massive qui n'échappent à personne, une structure donc virtuelle, dépourvue de toute consistance militante et instrumentalisée ouvertement pour consolider le système et que, hélas, le défunt Boudiaf imaginait tout autrement, c'est ce parti qui vient, toute honte bue, faire la leçon de la légitimité, voire de l'identité, à une entité qui s'est illustrée dans toutes les luttes et les mobilisations pour la démocratie, les droits de l'homme et l'alternance au pouvoir. L'absence d'alibi révolutionnaire peut susciter des comportements décapants, la preuve… C'est pour ainsi dire le monde à l'envers, et c'est ce RND, aujourd'hui rassuré dans ses positions, qui a la prétention d'être le chef de file du changement initié par ses géniteurs. De deux choses l'une : ou le parti de Ouyahia a perdu la tête en cautionnant une telle dérive verbale, ou alors son deuxième fort est à ce point apolitique qu'il en est même venu à commettre dans sa lancée une autre bourde en affichant une hostilité gratuite envers les Tunisiens, et dans ce cas il mérite non seulement une sanction mais d'être carrément retiré du circuit car trop compromettant pour l'image soft que son parti a mis quelques années à construire. Des hommes politiques qui n'ont pas le niveau sont légion, et la télé ne se gêne pas à l'occasion de les mettre en évidence. Si donc les plateaux qui se sont succédé jusque-là ont été des bides, c'est parce que dans une large mesure les intervenants n'avaient pas, à quelques exceptions près, le profil de l'emploi comme on dit. Il fallait que de grosses «pointures» viennent pour redonner un peu de crédit aux émissions C'est ce qui s'est passé cette semaine dans «Débat en Politique», «Hiwar Essaâ» et questions d'actu, où la participation d'hommes politiques ou d'intellectuels avérés, rompus aux médias, ont permis aux rendez-vous politiques de la semaine d'avoir une autre tonalité. Comme quoi, la politique est trop sérieuse pour la laisser entre les mains de n'importe qui.