Rencontré dans les locaux de l'Ansej à Skikda, Lamri Messaoud, 33 ans, champion d'Algérie de bodybuilding, exhibe comme un diplôme un numéro de la revue spécialisée Flex. « Regardez, sur cette photo, c'est moi avec des champions du monde entier. » La photo a été prise à Assiout en Egypte où Lamri représentait l'Algérie. Dans un classeur, sa revue, son dossier Ansej et tous ses rêves sont ensachés comme de vieux papiers de retraité. « Je rêve d'ouvrir une salle de bodybuilding à Azzaba ou à Ramdane Djamel. J'ai présenté mon projet que l'Ansej trouvait assez original et je l'ai déposé il y a une année déjà au niveau de la Badr. Après, on me l'a renvoyé en me signifiant que la Badr ne finance désormais que les projets agricoles. » Pour lui, cette nouvelle sonnait comme une grosse défaite, car entre temps, Lamri avait engagé ses petites économies dans la location d'un garage à Azzaba. Il ne sait pas que les nouvelles règles de crédit de la Badr ne pourraient avoir un effet rétroactif, mais les méandres bancaires et les lois les régissant ne sauraient intéresser un jeune qui déclare : « Moi, je veux juste gagner ma vie et je désire apprendre aux jeunes l'amour de ce sport... » Le directeur de l'Ansej nous apprendra plus tard que le cas de Lamri vient d'être pris en charge à l'initiative de l'antenne locale. Mais ce cas n'est qu'un exemple, car des Lamri, il en existe beaucoup, et son histoire n'est qu'un simple chapitre des mille et une désillusions des jeunes porteurs de projets à Skikda. Les exemples se comptent par centaines, et il suffit juste de se rendre dans les vestibules des banques pour voir se défiler et se faufiler, puis s'évaporer les rêves. On avance, non sans défaitisme, que la situation du dispositif Ansej dans la wilaya de Skikda est identique à l'ensemble des autres wilayas du pays, donc, une façon de faire entendre qu'il n'y a pas lieu d'extrapoler. C'est comme si c'était un destin préétabli pour des jeunes chômeurs. Normal quoi ! Pourtant, les jeunes ne l'entendent pas de cette oreille et leur engouement est explicite. Depuis 1998, année de l'ouverture de l'antenne Ansej de la wilaya de Skikda, 4784 dossiers ont été déposés. 4620 ont été déclarés éligibles par l'antenne locale, mais seuls 688, présentés dans le cadre du dispositif triangulaire (apport personnel + banque+Ansej) ont obtenu l'accord bancaire. Les autres, c'est-à-dire plus de 85 % continuent d'engloutir les archives des banques. Ils y sont toujours, bien que le dispositif mixte (apport personnel+Ansej) ait réussi un tant soit peu à alléger la facture de l'échec en réussissant à financer plus de 360 dossiers. Tout compte fait, le dispositif Ansej à Skikda a permis la création de 723 microentreprises, ce qui représente un taux de réussite globale estimé à 15%. Sans commentaires. Les pourquoi de l'échec sont multiples et les banques restent les premières indexées. « On ne prend même pas le temps de nous parler et on se contente de nous renvoyer nos dossiers après une année d'attente avec un petit bout de feuille où on mentionne que notre projet n'est pas rentable », avancent des jeunes. Ils évoquent amèrement cet « anonymat » et cette « impersonnalité » glaciale dans l'étude de leurs dossiers par les pourvoyeurs de crédits. Les dossiers empilés dans les banques ne sont souvent que de la paperasse. Une corvée à laquelle il faut s'y faire. « Nous aurions aimé que la banque débatte avec chaque porteur de projet pour lui permettre d'exposer ses idées, malheureusement, on a l'impression qu'elles tombent dans la routine des refus. » Les jeunes racontent que les banques semblent même disposer de réponses toutes faites à chaque projet et le mot clé des refus reste incontestablement « créneau saturé ». Mais cette réponse est réservée uniquement aux jeunes qui ne disposent que de leurs idées et de leur désir de réussir, car il y a les autres qui disposent de « larges épaules », des entrées d'un député ou d'un sénateur et qui réussissent à décrocher le plus improbable des crédits. Pour ces chanceux, les créneaux ne sont jamais saturés. Dans la continuité, le directeur de l'antenne Ansej de la wilaya avance que « le manque d'écoute au niveau de certaines banques est une réalité évidente. Nous reconnaissons aux banques le droit de refuser de financer un projet, mais nous ne comprenons pas le fait qu'elles n'amorcent même pas une politique d'écoute. Plusieurs projets de transport de marchandise, à titre d'exemple, n'ont pas réussi à obtenir l'accord sous prétexte que le créneau est saturé. Moi je me demande si en pleine économie de marché, le transport des marchandises est vraiment saturé, à moins que la vision géographique des banques s'est rétrécie ». Voilà qui est dit. Par ailleurs, le dispositif de soutien à l'emploi des jeunes à Skikda se singularise par un étrange phénomène de « mode ». Après la déferlante du transport des voyageurs qui a permis au début à des « nantis » de légaliser leur fraude fiscale, après la cybermania qui a légalement encouragé les riches à enrichir leurs progénitures, la mode actuelle est au transport de marchandises. Les jeunes pèchent des fois par manque d'imagination, poussés en cela par l'absence de vulgarisation et de formation, se contentant souvent de faire « comme l'autre ! ». Ainsi, on retrouve que des 723 projets entrés en exploitation, 243 versent dans le créneau des transports tous types confondus, puisque le permis de conduire remplace à merveille un diplôme scolaire. Il y a néanmoins 143 microentreprises et 108 projets agricoles, de l'artisanat... Il y a même deux jeunes qui ont réussi à acquérir des camions à bennes qui n'ont jamais rien collecté et sont toujours à l'arrêt, alors que les déchets jonchent les rues. L'APC leur aurait promis une convention, puis elle s'est rétractée les laissant au chômage avec un crédit à rembourser. C'est dire que le crédit ne résout pas souvent tout et qu'il est vital pour le dispositif de sortir enfin de cette « perception folklorique et à la limite simpliste » qui le caractérise. Une amorce louable a été enclenchée le 6 juillet dernier en présence du président de la République pour apporter au dispositif un nouveau souffle et une approche basée en partie sur l'apport de l'externalisation. Dans ce contexte, la wilaya de Skikda devrait représenter un modèle pilote vu ses potentialités industrielles. Depuis, des correspondances ont été adressées à plusieurs grosses entreprises locales qui avaient assisté à la rencontre du 6 juillet 2005 et qui avaient présenté alors « de nombreuses et intéressantes opportunités d'investissement » qui répondraient aux termes d'une correspondance officielle aux attentes du dispositif Ansej. La même correspondance laisse même comprendre que ces entreprises localisées à Skikda s'étaient montrées « disposées à s'engager dans des actions » et il leur a été demandé de désigner des représentants pour prendre part à un groupe de travail. A ce jour, aucune entreprise n'a daigné répondre. Peut-être qu'il faudra, là aussi, déléguer « officieusement » un député ou un sénateur pour les convaincre, bien que tout le monde sait à Skikda que ces élus ne se déplacent que pour...