Fortement dépendante de la rente pétrolière, l'économie nationale est appelée à sortir de l'engrenage en opérant sa mue vers un modèle moins dépendant des hydrocarbures. Dans l'urgence, soulignent des experts algériens qui intervenaient hier au cours d'un symposium intitulé «De l'urgence d'une nouvelle économie moins dépendante des hydrocarbures», initié par le Forum des chefs d'entreprises (FCE) à l'hôtel El Aurasssi, à Alger. Unanimes, économistes et chefs d'entreprise ont dressé un état des lieux qui donne froid dans le dos, non sans tirer la sonnette d'alarme. L'ancien ministre de l'Economie, Hocine Benissad, considère que le recours à la dépense publique a engendré l'explosion de la demande interne, ce qui accentue davantage le recours au marché extérieur. D'où la nécessité de revoir la copie. Selon lui, peu importe l'option à retenir : substitution à l'importation ou orientation exportatrice ; l'essentiel est de «réunir toutes les conditions nécessaires pour amorcer le décollage économique». D'autant plus que le climat des affaires en Algérie demeure «obscur», ce qui est de nature à décourager l'investissement étranger. D'après l'économiste, l'effort doit désormais se réorienter vers l'investissement productif. M. Benissad appelle aussi à mettre l'accent sur le développement de la ressource humaine, un potentiel à valoriser, et à se doter d'une capacité de création technologique. «Nous sommes dans une guerre économique, il faut s'en donner les moyens», plaide-t-il. Le professeur Ahmed Benyakoub souligne, pour sa part, que l'entreprise publique est devenue une «organisation». «Malgré les réformes opérées, l'entreprise publique n'est pas redevenue ce qu'elle doit être : créatrice de richesses et d'emplois», dit-il, notant en revanche que l'entreprise privée évolue dans un contexte des plus contraignants. «L'accès au financement est difficile, la main-d'œuvre est moins qualifiée. Il existe toujours des blocages institutionnels et réglementaires», regrette-t-il, en recommandant l'amélioration du climat des affaires. De son côté, Rachid Sekkak, ancien directeur à la Banque centrale d'Algérie, est catégorique : «Il y a urgence, notre pays doit sortir de l'économie de la rente et aller vers une économie de production.» Le financement de l'économie nationale est doublement dépendant, selon ses dires, de l'investissement public et des ressources du Trésor. D'où son appel à diversifier les ressources du financement de l'économie. A ce titre, M. Sekkak insiste sur le fait que le secteur bancaire doit être plus «actif». «Il faut mettre le paquet sur le développement du marché financier et bancaire. Nous avons des liquidités colossales, mais elles ne génèrent pas de croissance», déplore-t-il. Ce dernier suggère, entre autres, de renforcer les capacités de collecte de l'épargne, relancer l'envie d'investir en Algérie et libérer les entreprises nationales de leurs contraintes. «Depuis 30 ans, on ressasse la même histoire : on a besoin des usines, mais aujourd'hui, on n'a pas d'usines», assène M. Sekkak, soulignant la nécessité de relancer également l'effort de prospective en négociant de nouvelles alliances avec les pays émergents. «Retour à l'étatisme» L'économiste Mourad Boukella évoque, quant à lui, la manière autoritariste avec laquelle le secteur agricole a été géré depuis 1962 ; ce qu'il nomme le «syndrome algérien». «Malgré les efforts, on n'a pas trouvé la bonne formule», regrette-t-il. Pour M. Boukella, la priorité consiste actuellement à entamer une reconfiguration de la politique agricole. Dans ce cas de figure, cet économiste note que seul le développement des industries hors hydrocarbures est de nature à régler les problèmes de la dépendance alimentaire. Au sujet de l'économie informelle, Bakhti Belaïb, ancien ministre du Commerce, soutient que celle-ci est une réaction aux contraintes imposées aux entreprises nationales par «l'administration et l'Etat». L'orateur déplore par ailleurs que l'Etat est incapable de cerner son potentiel productif. Pour M. Benissad, le climat des affaires est délétère. «Il y a une insécurité juridique. On a institué la bureaucratie comme un outil de gestion», analyse-t-il, en critiquant au passage la loi des 51/49%. Imposer une participation de 30% aux étrangers (importation) et 51% aux industriels (investissement) est une décision «incohérente, qui frise l'incompétence», juge-t-il, provocant des applaudissements dans la salle. Auparavant, l'économiste Abdelmadjid Bouzidi avait établi une rétrospective des politiques économiques opérées depuis l'indépendance. Des choix qui n'ont pas, pour autant, relevé le défi de l'affranchissement du poids de la rentre pétrolière. La dernière étape de cet inventaire, entre 1999 et 2011, a été caractérisée, aux yeux de M. Bouzidi, par une tentative avortée de libéralisation économique du pays. «La cagnotte a augmenté et celui qui l'a redistribuée est arrivé…», a-t-il dit, faisant allusion à l'arrivée au pouvoir du président Bouteflika. «C'est le retour à l'étatisme. La croissance est éphémère, extensive et coûteuse dans la mesure où elle a été réalisée par l'investissement public. On constate également un traitement social du chômage ainsi qu'une absence de politique de l'offre. Celle-ci a besoin de réformes mais il n'y a pas de réformes», constate l'ancien conseiller économique de l'ex-président Zeroual. Actuellement, l'économie algérienne traverse une crise de régulation et fait face à une absence de diversification. M. Bouzidi recommande d'aller vers plus d'ouverture et de régulation.