Débarrassée de son ancien dictateur Ben Ali, la Tunisie est tombée dans les bras de Ghannouchi. La Tunisie célébrera aujourd'hui le 56e anniversaire de la fin du protectorat français dans un climat pour le moins tendu. Bien qu'elle le fasse pour la première fois sans son ex-dictateur Ben Ali, le cœur n'y est pas pour autant. Signe de cette Tunisie encore instable, des appels à manifester aujourd'hui ont été lancés par plusieurs mouvements et citoyens pour la défense d'une «Tunisie démocratique» et pour rappeler le «caractère civil» de l'Etat.De fait, la célébration ce 20 mars qui marque la fin de 75 ans d'occupation française ne se fera pas sous les fleurs et les youyous. La fuite de l'ancien maire de Carthage et l'accession au pouvoir des islamistes d'Ennahda est loin de rassurer un peuple divisé entre ceux qui se sont jetés éperdument dans les bras de Rached Ghannouchi et d'autres qui sont déjà nostalgiques de la Tunisie «moderne», même sous la botte de Ben Ali et avant lui Bourguiba. C'est pour le retour de cette Tunisie-là que des ONG et des associations de la société civile se sont donné rendez-vous aujourd'hui, avenue Habib Bourguiba, la grande artère de Tunis. En effet, le mouvement citoyen Kolna Tounes (Nous sommes tous des Tunisiens) a appelé à «un grand rassemblement pour réitérer l'attachement au caractère civil de l'Etat, aux valeurs républicaines, à la démocratie, aux libertés et à l'égalité». «N'oublions pas que la fracture sociale a été à l'origine de la révolution. On tente aujourd'hui de briser l'unité de la nation et de provoquer une fracture idéologique», ajoute Kolna Tounes, en référence à l'opposition «islamistes» contre «modernistes» qui éclipse tout autre débat depuis des mois en Tunisie. L'ogre Ben Ali, le fantôme Ghannouchi «De gauche ou de droite, soyons nombreux pour réclamer cette République respectueuse de nos libertés fondamentales», écrit le blogueur Astrubal, tandis qu'un autre proclame : «Si vous avez raté le 14 janvier 2011 (date de la chute de Ben Ali, ndlr), alors soyez sur l'avenue Habib Bourguiba le 20 mars 2012.» Cette manifestation du camp des «progressistes» intervient cinq jours après celle de milliers de sympathisants islamistes, qui ont réclamé vendredi devant l'Assemblée constituante l'inscription de la charia dans la future Constitution tunisienne. Un combat qui s'apparente à celui de David et Goliath, quand on voit la grande mobilisation des islamistes qui ratissent, y compris dans les rangs des salafistes que Ghannouchi entend intégrer dans le jeu politique. Une année après la Révolution du jasmin, la fleur est désormais fanée laissant la forte odeur du musc étouffer l'atmosphère dans un pays promis pourtant à servir de «modèle» de transition démocratique. Mais le triomphe d'Ennahda et les expressions d'intolérance et autres démonstrations de force des islamistes, de plus en plus visibles, ont tôt fait de remettre le destin démocratique de la Tunisie en «guillemets».Piégé lui aussi par la nécessité de cohabiter en position de force avec Ennhada pour se faire élire pour de vrai, l'icône Moncef Marzouki a perdu de sa superbe. Marzouki, ou le mariage de raison Opposant politique de gauche connu et militant des droits de l'homme reconnu, Marzouki à du mal à convaincre du bien-fondé de son mariage de raison avec Ghannouchi. «La Tunisie vit une situation d'immobilité cinq mois après l'élection des membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et trois mois après la désignation d'un nouveau pouvoir transitoire», a déploré hier Hamma Hammami, chef du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT), lors d'une conférence de presse. «Au lieu de parler de la démocratie et de la protection des libertés individuelles et publiques, on entend parler de l'identité et de l'application de la charia, la loi islamique, dans la nouvelle Constitution», peste ce militant communiste. Hammami s'élève aussi contre le gouvernement de Hamadi Jebali qui accuse l'extrême gauche et la centrale syndicale (UGTT) d'être «responsables de cette situation», alors que lui-même «n'a pas une politique et des choix clairs». Précisément, le gouvernement tunisien, ainsi accusé d'inertie, va présenter à la fin du mois à l'Assemblée nationale constituante son programme économique et social, s'appuyant sur une prévision de croissance de 3,5% en 2012, a déclaré hier le ministre chargé des dossiers économiques. «Le gouvernement présentera fin mars, dans le cadre de l'examen de la loi de finances complémentaire, un programme économique et social cohérent», a déclaré hier le ministre Ridha Saïdi dans un entretien à l'agence TAP. Ce programme ambitieux vise à créer 70 000 emplois dans un pays où le taux de chômage atteint 19%. En attendant de connaître le détail de ce plan anticrise, la profanation du Coran dans les mosquées du sud de Tunisie continue de rythmer une scène politique bien agitée en Tunisie.