L'onde de choc, provoquée par la publication de caricatures du Prophète Mohamed (QSSSL) par un journal danois, puis reprises par plusieurs titres en Europe et ailleurs, a ébranlé le monde entier. Le Danemark, paisible royaume scandinave, est ciblé par une large campagne de boycott, et ses représentations diplomatiques, notamment en Syrie et au Liban, ont été brûlées. Le Premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, revient, pour les lecteurs d'El Watan sur ces questions en appelant à plus de dialogue et au respect de la liberté de religion. Votre pays est au cœur d'une polémique et d'une crise diplomatique nées de la publication par le journal Jyllands Posten de caricatures jugées offensantes du Prophète Mohamed (QSSSL). Au début, vous avez refusé de vous exprimer sur l'affaire et vous avez refusé de recevoir les ambassadeurs des pays islamiques en poste à Copenhague. Croyez-vous avoir bien agi ? Les dessins étaient publiés dans le journal Jyllands Posten fin septembre 2005. En octobre, j'ai reçu une lettre de la part de onze ambassadeurs de pays musulmans en poste à Copenhague, dans laquelle ils faisaient référence aux dessins et à d'autres déclarations publiques. Ils ont demandé un entretien, en me demandant d'intervenir dans l'affaire. Dans ma réponse adressée aux onze ambassadeurs, j'ai expliqué la position du gouvernement danois vis-à-vis de ces publications. J'ai souligné la nécessité d'un respect et d'une tolérance mutuels entre les pays et les religions. J'ai également fait savoir que le gouvernement ne pouvait ni se mêler d'une affaire des médias ni prendre des mesures judiciaires contre ces médias. Au mois de novembre 2005, le ministre des Affaires étrangères s'est entretenu avec des ambassadeurs de pays musulmans. Depuis le début, le gouvernement est tout à fait ouvert au dialogue. Pensez-vous que la liberté d'expression, qui est un principe indiscutable, puisse autoriser de blesser et d'insulter des croyances religieuses ? Comme vous le savez, ces dessins avaient provoqué un large débat public durant l'automne. Par conséquent, j'ai consacré une grande partie de mon discours de vœux du nouvel an à cette question qui consiste à assurer un dialogue respectueux et au principe de la liberté d'expression. Dans ce discours, j'ai tenu à préciser que je condamne toute forme d'expression, d'action ou de propos qui tenteraient de diaboliser un groupe de personnes en raison de leur religion ou de leur origine ethnique. Cela ne doit pas exister dans une société basée sur le respect de chaque être humain. Le journal Jyllands Posten a présenté ses excuses au monde musulman pour l'offense provoquée par ces dessins. Je suis profondément peiné par le fait que beaucoup de musulmans ont vu les dessins dans le journal danois comme une diffamation du Prophète Mohamed (QSSSL). A plusieurs reprises, j'ai déclaré que le gouvernement danois respecte l'Islam comme l'une des religions essentielles du monde. J'ai également souligné que le gouvernement danois n'a aucune intention d'insulter les musulmans et qu'il ne soutient pas de telles activités. J'ai également tenu à préciser, qu'à titre personnel, je n'aurais jamais dessiné un symbole religieux d'une manière susceptible d'offenser quelqu'un. Je suis intervenu à la chaîne de télévision satellitaire arabe Al Arabiya afin d'expliquer la situation directement à la population en Arabie Saoudite et à celle dans d'autres régions du monde arabe. Les ambassades du Danemark et de Norvège en Syrie ont été incendiées par des manifestants en colère. A qui incombe la faute ? A la Syrie ? Au journal Jyllands Posten ? Ou à votre gouvernement ? Les dessins ont incontestablement blessé et offensé beaucoup de musulmans. En même temps, nous avons vu des exemples de « désinformation ». J'étais horrifié de voir les représentations diplomatiques danoises attaquées et brûlées ces derniers jours. Quoi qu'on pense de la situation, cela reste inadmissible et complètement inacceptable. Il est maintenant important de garder la tête froide. En premier lieu, les coupables sont les individus qui ont recours à la violence. Ils espèrent mettre le monde en feu par le biais d'une attaque incendiaire sur des bâtiments à Damas, à Beyrouth et à Téhéran. Tous les pays ont une obligation internationale d'assurer la sécurité des représentations diplomatiques sur leurs territoires. Il est clair que la Syrie et l'Iran ont manqué à cette obligation. Les produits danois sont massivement boycottés dans le monde musulman. Comment allez-vous faire pour surmonter cette crise et éviter à votre pays des pertes économiques et commerciales ? Nous sommes confrontés à un problème susceptible de devenir un problème global. Les dessins ont été repris par une série de journaux à travers l'Europe. Et si les protestations dans les rues s'enflamment davantage nous serions peut-être confrontés à des répercussions imprévisibles dans l'ensemble des pays touchés par cette affaire. Je pense donc qu'il est dans l'intérêt de tout le monde de calmer les esprits et de résoudre cette affaire. Nous travaillons actuellement sur tous les fronts possibles afin de trouver une solution et de remettre le dialogue avec le monde musulman sur une voie constructive. Des militants d'extrême droite de votre pays ont menacé de brûler des copies du Saint Coran sans y parvenir. Le monde musulman craint que le Danemark soit devenu une terre islamophobe, surtout que l'extrême droite partage avec vous le gouvernement. Que proposez-vous pour atténuer cette crainte ? Il est extrêmement important, pour moi de souligner que le Saint Coran n'a pas été brûlé au Danemark. Et si cela avait été le cas, la police aurait agi immédiatement. Il est extrêmement regrettable qu'une telle sorte de « désinformation » se propage, contribuant ainsi à jeter de l'huile sur le feu. La vaste majorité des Danois rejette - comme c'est le cas pour la vaste majorité des musulmans - les points de vue extrêmes. Et l'extrême droite n'est pas représentée au Parlement danois. Le gouvernement danois se compose du Parti conservateur et du Parti libéral, et c'est un gouvernement qui est orienté vers le centre de la politique danoise. Le Parti du peuple danois est l'allié parlementaire du gouvernement, et il ne s'agit pas d'un parti d'extrême droite. Le gouvernement danois est une coalition minoritaire, et les décisions politiques sont prises en s'appuyant sur plusieurs partis et sur la base de larges majorités. Comme vous le savez, la situation actuelle a aussi provoqué un vif débat au Danemark. J'ai appelé toutes les parties à s'abstenir de toute déclaration ou de toute action susceptibles de faire monter la tension davantage. J'ai appelé les représentants des communautés musulmanes - y compris les autorités religieuses - à transmettre le même message à leurs concitoyens musulmans au Danemark et à l'étranger. J'ai également demandé à ces personnes de nous aider à corriger ces nombreux exemples de « désinformation » parus dans la presse dans une série de pays. Une partie de l'Europe pense, à tort ou à raison, que ce qui se passe autour de cette affaire des caricatures du Prophète Mohamed (QSSSL) est « une petite » image de ce qui est appelé « le choc des civilisations » ou des « cultures ». Partagez-vous cette analyse ? Il est évident que nous avons affaire à des valeurs clés dans les démocraties et les sociétés religieuses. Le véritable défi consiste à éviter un choc des valeurs et des cultures. Nous avons tous une responsabilité visant à assurer que cela n'aura pas lieu. Je suis fermement convaincu que le seul moyen d'avancer est d'établir un dialogue nous permettant de mieux nous comprendre. Cette compréhension mutuelle est une chose indispensable dans le monde globalisé d'aujourd'hui. Depuis des siècles, le Danemark est un fervent partisan du libre-échange et d'échange d'idées pour favoriser les relations amicales et la prospérité entre tous les pays. La liberté d'expression devrait toujours être associée à la liberté de religion et au respect entre les religions et les cultures. Ces libertés sont des valeurs fondamentales dans la société danoise ainsi que dans beaucoup d'autres sociétés. Ces mêmes valeurs fondamentales devraient être la base des relations entre nos pays et nos cultures. Je crois que le libre-échange des biens et des idées accompagné, en même temps, d'une compréhension et d'une tolérance à l'égard des autres et d'autres cultures nous permettraient à tous de profiter du monde globalisé d'aujourd'hui.