Les villes du nord du Mali tombent l'une après l'autre. Après Kidal et Gao, c'est au tour de la ville de Tombouctou, dernier bastion, située à 800 km de Bamako, d'être pris d'assaut par les combattants du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA). Isolée, la junte militaire promet de rétablir la Constitution de février 1992. Tombouctou, ville millénaire, classée patrimoine mondial, s'est réveillée, hier matin, au son de l'artillerie lourde. Encerclée très tôt dans la matinée, elle a été prise d'assaut par des centaines de combattants du MNLA, puissamment armés, arrivés à bord de pick-up. Le seul camp militaire qu'elle abrite ainsi que les points stratégiques de sécurité ont été abandonnés par les soldats dès les premiers coups de feu, entre les mains d'une milice totalement dépassée par le nombre et l'armement des assaillants. En milieu de matinée, l'état-major du MNLA affirme, dans un communiqué, que ses troupes cernent la ville historique de Tombouctou et quelques heures après, il annonce : «Après avoir lancé l'offensive le 17 janvier 2012 à Ménaka dans la région de Gao, face à l'invasion militaire malienne dans l'Azawad, le MNLA vient de mettre fin à l'occupation malienne dans la région de Tombouctou, par sa prise et le contrôle de la région entière. Le MNLA informe que le drapeau flotte partout dans la région de Tombouctou, de Ber à Léré, et assure son contrôle et son administration. Il informe que l'état-major entamera sa mission de défense et de sécurisation du territoire de l'Azawad, pour le bonheur de son peuple et réaffirme une fois de plus qu'il n'est lié à aucune organisation islamique, comme le fait savoir une certaine presse et que l'objectif reste l'Azawad, son peuple et sa liberté.» Dans ce communiqué, le MNLA exhorte la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) «à plus de retenue face à son message d'ingérence militaire dans l'Azawad, et l'invite à jouer pour l'option politique afin de rétablir la paix». Cette victoire intervient 24 heures après la prise de Gao, une ville située 300 km à l'est de Tombouctou (où siège l'état-major régional du commandement des opérations militaires), après de longs combats, qui se sont soldés par la fuite de l'armée malienne de ses positions stratégiques. Profitant de l'anarchie et de la démobilisation au sein de l'armée, depuis le coup d'Etat du 22 mars dernier contre le président ATT (Amadou Tounami Touré), les rebelles ne cessent de gagner du terrain, et Tombouctou semble être leur dernière étape, avant de proclamer la libération totale du territoire où ils espèrent fonder leur Etat. En deux mois, ils ont conquis une grande partie du Nord-Est malien et du massif des Ifoghas, et en trois jours seulement, ils ont pris le contrôle des principales villes, à savoir Kidal, Ansongo, Bourem et Gao, fermant ainsi la boucle de tout le nord-est du pays. En quelques semaines, le MNLA, tout en s'appuyant sur des groupes d'obédience religieuse, comme Ançar Eddine, a réussi ce que toutes les précédentes rebellions n'ont pas pu faire. Très craintes, ces alliances sont pour le chef de l'état-major militaire, Mahamed Ag Najiim, «conjoncturelles». Pourtant, rien n'indique que demain, Ayad Ag Ghaly, qui dirige Ançar Eddine, ou tout autre groupe, comme le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) qui, selon des sources locales, auraient pris part à la prise de Kidal et de Gao, ne revendiqueraient pas des «émirats islamistes». Quel poids auraient les dirigeants du MNLA, qui n'ont cessé de se réclamer d'un Azawad laïque, pour s'opposer à de telles singularisations ? La réponse est difficile à avoir pour l'instant. Néanmoins, la présence de ces groupes armés islamistes dans les rangs du MNLA ou à sa périphérie inquiète lourdement non seulement les pays de la région, mais également la communauté internationale. La mise en garde de la Cédéao exacerbe la colère de la junte et des rebelles Hier, des témoins, joints par téléphone, faisaient état de scènes de pillage et de sabotage des bâtiments de l'administration dans les rues de Gao et de Tombouctou. A quelques centaines de kilomètres, le chef de la junte militaire, le capitaine Amadou Sanogo, rassure les citoyens maliens, en affirmant que «l'assaut des rebelles a été repoussé» et en annonçant avoir donné l'ordre à ses troupes «de ne pas prolonger les combats». «Le Conseil national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat (CNDRE),) fera une analyse claire de la situation dans les heures à venir», a fait savoir la junte. Mais le lendemain, les rebelles étaient déjà à Tombouctou. Dépassé par les événements et surtout par les menaces de la Cédéao, Sanogo lance un appel à l'aide pour «gérer la crise du Nord» et promet de revenir à l'ordre constitutionnel, néanmoins avec des modalités négociées. Mais la Cédéao lui réitère sa condition de retour à l'ordre constitutionnel dans un délai de 72 heures, pour s'y conformer, et annonce qu'à l'expiration de ce délai (demain), elle a «mis en alerte une force de 2000 hommes armés et équipés». Les menaces de la Cédéao n'ont ni ramolli les putschistes ni freiné l'avancée des rebelles. Elle a plutôt exacerbé la colère des deux parties. Jeudi dernier, la délégation des chefs d'Etat, qui s'est rendue à Bamako pour ordonner aux militaires de partir, a été chassée dès son arrivée à l'aéroport, par une manifestation pro-putschistes, hostile à la Cédéao. L'avion transportant la délégation a fait demi-tour pour des «raisons de sécurité». Au même moment, une importante marche de protestation contre les décisions de la Cédéao rassemble plusieurs milliers de personnes dans les rues de la capitale. Les manifestants protestent contre «l'interventionnisme» de la Cédéao et «la guerre». De son côté, le MNLA poursuit son avancée sur le terrain. En deux jours, il a pris le contrôle de deux grandes villes, Kidal et Gao, sans aucune résistance. La junte militaire dépêche un émissaire à Ouagadougou pour rencontrer le président burkinabé, Blaise Compaoré, médiateur dans la crise malienne par la Cédéao. «Le dialogue n'est pas rompu avec la Cédéao. Sur le principe, la junte se dit d'accord pour un retour à l'ordre constitutionnel au Mali, reste à en déterminer les modalités. Les discussions vont donc continuer avec Djibril Bassolé, le ministre des Affaires étrangères burkinabé. C'est précisément de ces modalités que nous continuerons à discuter à Bamako ce soir», déclare t-on officiellement. Quelques heures plus tard, Djibril Bassolé a annoncé : «Nous prenons l'engagement solennel de rétablir à compter de ce jour la Constitution de la République du Mali du 25 février 1992, ainsi que les institutions républicaines.» Pour sa part, le colonel Moussa Sinko Coulibaly (à la tête de la délégation de militaires) assure : «Le comité n'a aucune intention de rester au pouvoir ou de confisquer le pouvoir. Nous allons partir dès que la crise institutionnelle sera résolue. Si cela se fait en une semaine, le comité va disparaître, si cela se fait en 24 heures, le comité va disparaître. Donc, pas d'inquiétude de ce côté. Nous ne sommes pas là pour confisquer le pouvoir.» Des propos certes clairs, mais pas précis dans la mesure où la junte n'a pas donné de délai pour le retour à l'ordre constitutionnel. Hier matin, les rebelles annonçaient la chute de Tombouctou. Désormais, ils contrôlent toute la partie nord du pays, soit les trois quarts de la superficie du Mali. Jamais une rébellion n'a pu atteindre l'objectif que le MNLA vient de concrétiser. Une victoire qui fait craindre le pire, dans une région où les velléités séparatistes minent tous les pays du champ.