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D'Habermas aux consultations du FFS : promesses d'une théorie et contraintes des apories
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Publié dans El Watan le 03 - 04 - 2012

Le cycle de débats avec les militants et la société civile sur la position à prendre vis-à-vis des élections législatives prochaines, initié par la direction du FFS, a suscité une foultitude de réactions, somme toute justifiées vu la nature extraordinaire du phénomène dans le champ politique algérien, qui ont toutes cédé devant la tentation des interprétations simplistes.
Considérant la taille de l'enjeu, savoir permettre à la société algérienne de faire un saut qualitatif enjambant l'archaïsme pour atterrir dans la modernité de la démocratie, nous considérons utile de revenir sur cette démarche pour tenter de mesurer sa réelle portée pratique et, partant, d'inciter à faire un bon usage.Pour ce faire, nous allons essayer d'expliciter les principes théoriques essentiels ayant implicitement inspiré son concepteur dans un premier temps et, dans un deuxième temps, nous allons tenter de voir quel est le niveau de réalisabilité pratique de la démarche.
I. La démarche de consultation, une pratique de la théorie habermasienne
Il est incontestable que la démarche de consultation de la base militante est, par extension, de la société civile, sur la question des élections législatives prochaines est inspirée de la philosophie politique de Jürgen Habermas. Pour celui-ci, la modernité est tributaire d'une démocratie fondée sur la recherche d'une vérité qui ne peut résulter que d'un consensus entre les membres d'une société où le droit à l'opinion est reconnu pour tout un chacun et où tout un chacun essaye de faire valoir son opinion. De cette théorie, nous pouvons ressortir quartes principes fondamentaux qui transparaissent dans la démarche recommandée par Hocine Aït Ahmed, savoir la politisation de la société, le droit à l'opinion, la rationalité communicationnelle, le débat libre basé sur l'argumentaire et la recherche d'un consensus.
1)- La politisation de la société : les membres de la société ne peuvent être considérés comme des objets qu'il faudrait penser, organiser et finaliser, mais comme des acteurs dotés de capacités de discernement, capables de bon sens. Chaque membre a le droit et doit effectivement faire usage de ce droit de participer au façonnement de l'opinion et à la prise de décision dans l'espace public.
2)- Le droit à l'opinion : s'il est admis que chaque membre de la société a la capacité de participer à la prise de décisions concernant les questions d'intérêt général, alors il faudra que les institutions publiques lui reconnaissent le droit à l'opinion et, en faisant, lui crée les conditions devant lui permettre de le réaliser dans la pratique.
3)- La rationalité communicationnelle : la communication entre les membres d'une société peut déboucher sur des conclusions les plus pertinentes pour le traitement des problématiques objet de débat. Ceci est basé sur un postulat que la vérité n'est ni une abstraction ni le produit d'un effort de réflexion d'une personne ayant des aptitudes particulières vis-à-vis duquel le reste des membres doivent observer une obéissance passive; c'est plutôt le produit de l'opinion collective issue d'un débat libre respectant la divergence des opinions.
4)- Le débat basé sur l'argumentaire : nous pouvons, sans risque de déformation, dire que l'approche d'Habermas considère que le consensus, pour qu'il soit utile, doit venir après un débat contradictoire fondé sur l'argumentaire. Celui-ci est, il est évident, est l'élément de base de la démarche : sans lui, le débat stérile va s'installer qui, inévitablement, donnera des résultats stériles et stérilisants. L'argument consiste, comme dirait Cromwell, à donner des raisons valables obtenues par le moyen d'une analyse objective et rationnelle, c'est-à-dire étayée par des faits concrets ~t réalisée avec des outils conceptuels et méthodologiques appropriés.
5)- La recherche d'un consensus : le débat libre suppose la pluralité des idées. Plus qu'une donnée que l'on doit prendre comme contrainte, celle-ci est même recherchée pour le fait que elle seule permet d'embrasser les questions sociales, qui sont par nature complexes, dans leur totalité. Outre cela, la confrontation de plusieurs opinions divergentes permet à chacune d'elles de s'affiner en se corrigeant en fonction et de se consolider à partir des autres. Dans une société où le bon sens est la chose la plus et la mieux partagée par ses membres, par le débat et la relativisation, des divergences doit naître une convergence, une vérité partagée, qui soit la plus utile pour chacun des membres et pour leur ensemble : la réflexion, disait à juste titre Rousseau, naît des idées comparées.
Il. Les conditions de réalisabilité
Au-delà des critiques théoriques adressées à la théorie que des spécialistes ont évalué et relativisé et auxquelles la théorie, par ces développement, tentent de résister, il est incontestable que le contexte d'application doit contenir, comme dirait Marx, les conditions objectives permettant sa réalisation réussie. Celles-ci se situent fondamentalement à deux niveaux : le public et les structures socioculturelles et politiques.
1)- Les conditions relevant du public
Pour pouvoir parler d'espace publique en tant qu'espace de formation démocratique des opinions, il faudrait qu'il y ait au préalable un public constitué d'éléments qui ont un certain niveau d'autonomie de réflexion. En effet, Il ne sert à rien d'engager un débat contradictoire entre une multitude de personnes lorsque, en dernière instance, seule une minorité prend effectivement une décision personnelle alors que la majorité ne fait qu'appuyer le raisonnement des chefs selon les affinités de chacun. Dans ces conditions, la bonne idée minoritaire est inévitablement tuée par la mauvaise idée majoritaire. Dans le cas algérien, il n'y a pas, comme le soutient Bouchachi, une démission de l'élite, il y a, ce qui est plus grave, un déclassement de la vraie élite par la fausse: durant les assises nationales de la société civile des animateurs, qui sont de surcroît professeurs des universités, ont substantiellement soutenu l'idée qu'il n'y a pas de société civile en Algérie tout en sachant que des dizaines de marche de contestation sont enregistrées chaque mois et que, par exemple à Béjaïa, une association socioculturelle, avec ses moyens dérisoires, est en train de finaliser la restauration d'un village traditionnel pour le tourisme solidaire ! Sous le règne de cette fausse élite, le travail de formation s'est transformé en un travail de déformation ayant donné naissance à une situation où les diplômés de université même n'ont pas un esprit critique, rechigne à l'effort de lecture et de réflexion donc sont incapables d'analyser et de synthétiser. D'où la séduction de la légèreté : le rapport de synthèse des assises nationales de la société civile est les mêmes que leur rapport introductif.
2)- Les conditions relevant des structures socioculturelles et politiques
Cela relève du sens commun qu'Habermas s'est inspiré de la société aristocratique. Or, celle-ci, pour pouvoir jouer un rôle déterminant, par le biais des outils de communication, à la détermination de l'opinion, a préparé ses membres, dès le berceau, à un réfléchir et à un agir pertinents, en les façonnant par l'éducation familiale, l'instruction et l'initiation à la prise de parole et de décision, pour la conquête, la conservation, la consolidation et le bon usage du pouvoir. Il est indispensable de rappeler ici, qu'avant Habermas, Gramsci a montré l'importance de l'espace public dans l'établissement des rapports de force en se focalisant sur l'analyse de la formation de la doxa, c'est-à-dire le processus et les mécanismes par lesquels les dominants légitimes leur domination en instrumentalisant l'opinion collective.
Dans le contexte algérien, en plus du fait que l'opinion publique ne se fait pas selon des principes rationnels, mais plutôt archaïques, comme la religion, l'appartenance clanique, etc., les structures socioculturelles et politiques ne forment pas pour la citoyenneté et la capabilité (être capable de), pour l'engagement positif dans l'intérêt collectif. A titre d'exemple, au lieu d'aider les associations et les syndicats à devenir autonomes et à construire les capacités permettant de garantir l'autonomie de décision et la liberté d'action, les partis politiques ont essayé de les asservir. Au lieu de donner l'exemple de gouvernance par l'alternance, l'intelligence et la compétence, on a donné l'exemple de gouvernance par les manigances, les accointances et l'incompétence. Ceci a fait que la mouvance dite démocratique a créé les conditions objectives de son affaiblissement : parce qu'on a contribué à former une société où, comme dirait Balzac, le début et la finalité de tout est l'argent, où le matériel est tout et où l'idéal est rien, et vu qu'un parti démocratique d'opposition ne peut rivaliser avec le pouvoir sur le plan matériel, celui-ci est devenu moins qu'une association en matière de sensibilisation et moins qu'un café maure en matière d'innovation de méthodes de lutte, de prévision et de projets pertinents d'action.
III. La synthèse
Pour un parti politique aspirant à la modernité de la démocratie, on ne peut être, au plan exogène, légitime défenseur de la pluralité des représentations sans être, au plan endogène, sincère promoteur de la pluralité des réflexions. Autrement dit, si le fascisme s'installe par le nivellement des différences, c'est de celles-ci que la démocratie tire ses forces.
L'efficacité de cette approche conflictuelle suppose que, pour les membres de la société, la différence et le choix sont établis entre les conflits bloquants et les conflits motivants, entre le faire diverger pour régner et le faire confronter les divergences pour renseigner et se renseigner. En somme, en démocratie, la polémique par l'argumentaire est mère de la vérité et le consensus synthétique en est le père.
Par cela, l'intelligence collective devient supérieure à la somme des intelligences individuelles, et c'est ce qui fait toute l'importance de cette philosophie politique du point de vue pratique. Au-delà des abstractions, la réalité nous montre que c'est faire preuve de manque de sens pratique en politique que d'ignorer le fait que la vision habermassienne n'est réalisable que lorsque les conditions de sa réalisabilité sont réunies : ce sont les abeilles et non les bousiers qui émerveillent par le génie collectif, et, dans les collectifs de celles-ci, les rôles de chaque catégorie sont connus reconnus et respectés.

Zoreli Mohamed-Amokrane et Achir Mohamed : enseignants-chercheurs à l'université de Béjaïa


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