Dans la série des débats qu'il organise régulièrement, le quotidien El Watan s'est intéressé ce jeudi à la thématique de la société civile, sous l'intitulé : " Société civile : entre le marteau et l'enclume ". Le débat a drainé un large public. Le premier intervenant, Omar Carlier, historien et professeur des universités à l'université Paris VII et ancien professeur à l'université d'Oran, est revenu sur l'histoire générale de cette notion extrêmement rare jusqu'à tout récemment. Il s'agit d'une " catégorie " qu'il faut mettre à l'épreuve des faits et de la temporalité. Habermas serait le fondateur de cette notion au 19ème siècle avec le changement sociétal en Europe. Dans le monde arabe, elle est rattachée au mouvement de la Nahda (jeunes Turcs, Jeune Egypte, Jeune Tunisie…). En Algérie, la naissance du mouvement associatif dans la première moitié du 20ème siècle a été, dans le contexte colonial, un nouveau type d'action. Ce mouvement était culturel au début : Nadi Taraqui, Oulémas, clubs sportifs. La Rachidia était le premier cercle créé et il compta parmi ses membres des personnalités prestigieuses comme Mohamed Bencheneb et El-Medjaoui. Rapidement, cependant, ce mouvement a pris des allures d'action politique et de défi face au joug colonial, par son affirmation de la naissance d'une nouvelle conscience sociale en Algérie. En effet, ces associations ne reflétaient pas des appartenances primordiales comme la tribu ou la corporation ou encore la confrérie, mais une appartenance sociétale qui transcendait les anciens schémas d'agrégation. Dans la période récente, Omar Carlier est revenu sur la création d'associations par milliers dans le sillage de l'ouverture démocratique. Mais il pose la question suivante : la société civile existe-elle par le nombre seulement ? Il donne l'exemple des universités qui existent par dizaines et forment des étudiants par centaines de milliers, mais cela, indique-t-il, c'est automatiquement l'existence d'espaces d'échanges scientifiques et intellectuels. Il conclut en disant que le vrai combat se situe en réalité dans le rapport qu'on a avec l'autre et avec soi. Jean Leca, le second intervenant, est politologue, professeur émérite à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur de l'IEP d'Alger (1963-1967). Il a publié plusieurs ouvrages dont "Pour(quoi) la philosophie politique ", " Sur l'individualisme : théories et méthodes " et " Traité de Science politique ". Il s'est penché, quant à lui, sur la constitution de cette catégorie à travers le temps et les sociétés et ses implications sur les développements intellectuels et sociologiques des sociétés, surtout européennes, et dans sa relation aux notions de démocratie et de laïcité. Au cours de ses recherches, il a trouvé 40 définitions pour la démocratie et 15 pour la société civile : " Plus on en parle et moins on sait ce que c'est". A une de nos questions sur la société civile en Algérie, il a répondu : " C'est une presse libre, c'est une floraison d'associations. Elle a deux problèmes ; d'abord, elle n'est pas en relation de confiance avec l'Etat. Ensuite, pour qu'une société civile soit efficace, il faut que les organismes de l'Etat fonctionnent bien comme le service public et les universités."