La musique instrumentale algérienne se recherche toujours. Les producteurs continuent de préférer les disques de chansons, rarement ceux de musique. Chiheb Mohamed Bellih, qui n'a pas encore 22 ans, formé à la musique châabie au Conservatoire d'Alger, a travaillé pendant deux ans et demi sur un album, Ambition, sorti ces derniers jours dans les bacs en Algérie. Quatorze morceaux sont divisés en deux parties : Free your body (libérer votre corps) et Free tour mind (libérer votre esprit). On y retrouve du chill out, de l'ambient, du new age, de l'électronique et de la world music. -Free your body and mind, pourquoi cet appel ? Free your body, la première partie, est rythmée. Free your mind, la deuxième, est plus calme. Quatre morceaux sur quatorze sont chantés par Mimita, une chanteuse algérienne, professeure de musique, par Myriam Djouhara, autre chanteuse algérienne, Steklo, un interprète russe, Light and Sax, un musicien et chanteur français. Je suis également producteur de Myriam Djouhara. C'est pour cette raison que je l'ai invitée à participer à l'album. Le morceau Comet a été interprété avec le flûtiste américain Bradford Rogers, Lanscapes avec le saxophoniste algérien Hamza Hichem (Joker sax) et States of mind avec Philipe Gomez, un joueur de oud français qui vit au Maroc. Le flûtiste américain m'a envoyé le morceau préenregistré pour le mixer. Les musiciens étrangers ont accepté de travailler avec moi en raison de la touche châabie, notre touche. Ils veulent apprendre plus sur la musique algérienne. L'album a été enregistré en Algérie. J'ai fait de l'auto prod', utilisé mes propres moyens. J'ai limité mes sorties et mes soirées pour me concentrer sur mon travail de recherche et de compositions musicales. Je passais chaque samedi dans le studio pour préparer l'album. -Qu'en est-il d'Algerian way ? Vingt musiciens algériens ont participé à ce morceau comme Mohamed Rouane, Joe Batoury, Kheiredine M'kachiche, Latifa Hani, Nadjib Gamoura, Nazim Zeryiab, Amine Arselane Bouras, Farid Bouchama, Hamza Hichem… Algerian way, c'est notre manière bien algérienne de jouer des instruments. Nous avons notre propre touche. Il y a un peu d'impro', mais avec respect pour la composition de base. Chacun a apporté son solo. Moi, je suis pianiste à la base. Je viens de l'école châabie. -Les titres et la biographie sont écrits en anglais. Pourquoi ? C'est de la world music, donc l'album est aussi destiné au marché extérieur. En Algérie, il est déjà dans les bacs. En mai prochain, l'album sera mis sur les plateformes on line telles I Tunes (…). J'ai assuré l'arrangement, la composition et la production de l'album. J'ai fait le mastering en Allemagne chez Marlon Klein, le batteur du groupe Dissidenten (le groupe de Hamid Baroudi, ndlr) et chez les studios Skizo Beats en Algérie. C'est mon deuxième album. Mon premier album, Dix nuits à El Bahdja, était plus proche du chaâbi (sorti en 2009). A l'époque, j'étais encore élève au Conservatoire d'Alger. J'aime beaucoup les sonorités musicales asiatiques et la musique ethnique. -Et Ambition, le titre de l'album, traduit-il un état d'esprit ou c'est un choix empirique ? Je suis un jeune qui tente de travailler avec cœur. J'ai rencontré des personnes qui ont voulu me dissuader de poursuivre mon projet, me bloquer. Certains musiciens, à qui j'ai parlé de l'idée de Algerian way, se sont interrogé sur mon âge. On ne m'a pas encouragé à réussir, à avancer. Donc, c'est grâce à l'ambition que j'ai pu continuer dans mon projet musical, sinon j'aurais abandonné. -La musique algérienne d'aujourd'hui régresse-t-elle ? Avance-t-elle ? Habituellement, je ne suis pas «un suiveur » de vague. J'ai mon propre entourage musical. Et je suis pour l'idée de partage. La bonne musique doit être écoutée, commercialisée, popularisée. -Y a-t-il un marché pour le chill out, l'ambient, l'atmosphérique ? Oui. Il existe des clubbers qui aiment le chill out, manière de rompre avec les soirées techno et house. Beaucoup baisser le tempo avant de se reposer, dormir. Je suis aussi favorable à l'idée de faire découvrir davantage (…). J'envisage de faire de la scène, une tournée avec les musiciens… -Une dernière question : que représente pour vous, jeune de 22 ans, l'Algérie, cinquante ans après l'indépendance ? Je vous avoue que la personnalité de Mostefa Ben Boulaïd m'a beaucoup marqué, malgré que je ne l'ai pas connu (Ben Boulaïd a trouvé la mort dans les Aurès le 22 mars 1956 après l'explosion d'un poste radio piégé envoyé par l'Armée coloniale française, ndlr). Des hommes comme lui sont devenus rares. J'espère que le pays pourra se développer davantage. Je suis un étudiant en sciences humaines et j'aime lire l'histoire. Je sais qu'on ne nous a pas tout dit sur l'histoire algérienne. Pour l'instant, je m'intéresse à celle de la Seconde Guerre mondiale et celle de la Guerre froide. Lorsque notre histoire sera écrite correctement, je m'y intéresserai. Le morceau Algerian Way est une manière d'exprimer mon amour pour l'Algérie. J'espère en faire un clip…