Il aura été jusqu'au dernier moment de son existence prisonnier de son passé. Homme politique controversé, l'histoire retiendra qu'il s'est retrouvé à la tête du nouvel Etat indépendant dans une période trouble. Son action militante, avant et après le 1er Novembre 1954, sera tout aussi mouvementée. A la suite du déclenchement de la Révolution survenu alors qu'il se trouvait au Caire, ses rapports avec «l'intérieur», resteront tendus et imprégnés de divergences sur la conduite de la lutte armée. Le Congrès de la Soummam sera, à ce titre, le révélateur de ces divergences qui l'opposaient à des hommes comme Abane Ramdane, pour lesquels il était tout à fait naturel que celle-ci devrait être menée de l'intérieur du pays et non à partir de l'étranger. L'apport extérieur devant essentiellement porter sur la logistique et le soutien diplomatique à la cause nationale. Une telle attitude de la part de l'homme révèle sans doute les traits du caractère du futur dirigeant de l'Etat algérien, pour le moins «bouillonnant» et versatile. Ahmed Ben Bella aura marqué la période des trois premières années de l'Algérie «post-indépendance» toutes aussi bouillonnantes que le caractère de ce dirigeant. Plus soumis à l'air du temps et aux contingences extérieures jusque dans l'aspect vestimentaire où alternent le col Mao fermé des vestes des révolutionnaires chinois et le complet veston cravate. Acte significatif, sans doute, de cette confusion ambiante. Dans ce maelström de l'après-indépendance, Alger s'est transformée en un «véritable laboratoire» où romantisme révolutionnaire côtoie l'absurde, l'horreur… Le populisme érigé en manière de gouverner au point de bannir tout humanisme. Des envolées lyriques pour justifier les «décrets sur l'autogestion», que certains laissaient entendre qu'ils violaient les «Accords d'Evian», faut-il retenir la réplique de Ben Bella rétorquant que ceux-ci «n'étaient pas le Coran». Entouré de ce que la planète pouvait compter dans les années 1960 comme «théoriciens révolutionnaires», d'incompris, de déçus de l'internationalisme révolutionnaire, la période durant laquelle il présida aux destinées de l'Algérie allait devenir pour beaucoup celle d'une caricature du socialisme qui se voulait spécifique et qui consomma son échec deux décennies plus tard. Pour d'autres, elle fut tout aussi tumultueuse dans ces excès dans ce qu'il y de plus horrible pour une génération d'hommes et de femmes qui a connu l'emprisonnement, les liquidations physiques et qui aspirait au bien-être, à la justice et au progrès social. En tout état de cause, les conséquences marqueront profondément le pays.