Loin de l'enthousiasme d'antan, le Printemps berbère est célébré, ces dernières années, dans une frappante démobilisation. Les grandioses marches du 20 avril ne sont, aujourd'hui, qu'un lointain souvenir. La mobilisation pour des actions, dans le sillage de la revendication identitaire, est retombée dans la mesure où la célébration de cette date ne draine plus les foules. A l'université de Tizi Ouzou, qui était à l'avant-garde de toutes les luttes démocratiques, les étudiants ont peu de repères sur les événements d'avril 1980. C'est le cas de ce futur médecin qui n'a pas beaucoup de réponses à propos du Printemps berbère : «Depuis mon arrivée à la fac, il y a trois ans, je vois qu'il y a seulement des actions d'étudiants pour des revendications beaucoup plus sociopédagogiques qu'autre.» Mohamed, professeur d'enseignement secondaire à Tizi Ouzou, relève : «Le Printemps berbère est célébré par les institutions publiques qui avaient, des années durant, muselé le combat identitaire.» Jadis, le 20 avril était l'occasion de revisiter l'itinéraire de la revendication amazighe. Une semaine durant, la Kabylie et plusieurs régions du pays s'animaient au rythme des activités qui occupaient le devant de la scène. Aujourd'hui, par contre, cette mobilisation s'est émoussée. Ainsi, à l'exception du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) et du Comité national des étudiants démocrates et amazighs (une structure nouvellement créée) qui annoncent, en rangs dispersés, une marche pour demain dans la ville de Tizi Ouzou, aucun autre appel ou programme sous le sigle du MCB n'est au menu de la semaine de l'amazighité dans la région. Le MCB aurait-il disparu ? «A partir de 2001, le MCB est en reflux. Les citoyens de la région de Kabylie étaient mobilisés autour du mouvement citoyen des archs né au lendemain des événements qui ont secoué la région. Mais, quelques années plus tard, on ne voit ni la mobilisation des archs ni celle du MCB qui s'est fragmenté en plusieurs fractions», commente Boudjemâa, cadre dans une entreprise publique, qui ajoute : «Il faut dire que plusieurs militants et animateurs du MCB, d'anciens étudiants, par exemple, ont quitté le pays. Ils sont actuellement à l'étranger où ils font même dans la promotion de la culture amazigh. D'ailleurs, aujourd'hui, le Printemps berbère est célébré France et au Canada beaucoup plus qu'ici.» Pour Kamel, animateur associatif, «le pouvoir s'est approprié le 20 avril. Je viens de voir une banderole accrochée par la direction de la culture où on peut lire ‘Pour l'officialisation de tamazight'. C'est vraiment contradictoire». Amar, jeune militant politique, estime que «le MCB, en tant qu'organisation, a disparu mais on constate une reprise de la revendication identitaire dans un autre cadre, celui de la production intellectuelle à travers le travail des départements de langue et de culture amazighs. Le mouvement existe, mais sous une autre forme». Saïd Chemakh, enseignant à l'université de Tizi Ouzou, voit les choses autrement. Selon lui, le MCB n'est pas un mouvement, il est devenu une mouvance. «Tous les Berbères, les écrivains, les artistes et les chercheurs qui font quelque chose pour tamazigh peuvent se revendiquer du MCB qui n'appartient à personne», nous a-t-il expliqué. Dans son côté, Djamel Zenati, ancien responsable du MCB (commission nationale), a souligné, mardi, lors d'une conférence animée à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, que «l'esprit du Printemps berbère a tendance à disparaître et à être oublié alors qu'il est l'esprit d'un combat démocratique». Il a également rappelé la genèse des événements du Printemps berbère. «Le Printemps berbère n'est pas le fruit du hasard ni le produit d'une génération spontanée. L'esprit du MCB, c'est la convergence et l'irruption de la population dans la rue. Aujourd'hui, il faut un travail de longue haleine pour réinventer le militantisme car, on assiste à une perversion des valeurs», a-t-il déclaré.