La Kabylie célèbre aujourd'hui le printemps berbère d'avril 1980. Quel bilan faire ? De la création des premiers instituts de langue et de culture amazighs aux universités de Tizi Ouzou et Béjaïa, à la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale en 2003, jusqu'à la création d'une chaîne de télévision berbère en 2009, le processus de réhabilitation de l'identité berbère aura connu une avancée, estiment des observateurs. Pour d'autres, les acquis sont maigres et le mouvement d'avril 1980 — dont les revendications fondamentales étaient les libertés démocratiques et la reconnaissance de la culture amazigh — est aujourd'hui dans une impasse. L'éclatement du MCB en plusieurs tendances a fait le jeu du pouvoir qui a réussi à vider la revendication citoyenne de son sens revendicatif pour la confiner dans un moule folklorique. «Le Mouvement culturel berbère n'a pas pu se donner des raisons et des objectifs politiques pour pouvoir ensuite les concrétiser sur le terrain», analyse Salem Chaker, professeur de berbère à l'Inalco (Paris), dans une interview accordée à El Watan. Pour Mouloud Lounaouci, l'un des 24 détenus d'avril 1980 et membre fondateur du MCB, «le printemps amazigh d'avril 1980 a été un sursaut collectif essentiellement kabyle pour revendiquer un droit humain, celui de vivre pleinement sa citoyenneté à travers, aussi, son identité propre. Le MCB est donc né dans la tourmente des événements dits de Tizi Ouzou. De fait, le sigle s'est imposé de lui-même. Pas une personne, pas un groupe n'a été à l'origine de cet acronyme. Toutes les avancées en matière d'identité, langue et culture amazighs lui sont redevables. Le vent de démocratisation qui a soufflé sur l'ensemble de la nation, la Ligue des droits de l'homme, l'Association des enfants de chouhada sont, entre autres, le résultat des efforts menés par les militants qui se revendiquent du MCB». Pour de nombreux militants, le MCB, qui a porté la grève du cartable durant l'année scolaire 1994/1995 pour revendiquer le statut de langue nationale et officielle de tamazight, s'est définitivement rangé dans les tiroirs de l'histoire. Toutefois, la contestation a repris en 2001 lors des évènements du printemps noir qui a secoué la Kabylie suite à l'assassinat du lycéen Guermah Massinissa dans les locaux de la gendarmerie de Béni Douala. Le mouvement des archs, né dans la douleur à la suite des événements sanglants qui ont endeuillé la région, ne garde, aujourd'hui, que le souvenir lointain des grandes mobilisations. Cette structure, mise sur pied pour arrêter l'effusion de sang, s'est transformée en une organisation pour canaliser la protestation sous forme de combat politique pacifique. A El Kseur, un conclave s'est tenu, à l'issue duquel une plateforme de revendications a été adoptée. Le mouvement des archs accentue des actions de protestation, et le 14 juin 2001 plus deux millions de personnes ont tenté de marcher vers la présidence de la République, mais la manifestation a été réprimée de manière sanglante. Des victimes ont été enregistrées parmi les manifestants. Les archs ont décidé la mise en quarantaine des gendarmes et ont abouti à la délocalisation de plus d'une dizaine de brigades. La désunion au sein des archs a vu le jour avec les élections locales auxquelles a pris part le FFS et la présidentielle à laquelle a participé Saïd Sadi du RCD. Le mouvement, rappelle-t-on, campait toujours sur sa position de tourner le dos à toute échéance électorale avant la satisfaction «pleine» et «entière» de la plateforme d'El Kseur. Les délégués ont décidé de prendre langue avec le chef de gouvernement et le protocole d'accord sur l'application de la plateforme d'El Kseur a été signé entre les deux parties. Mais, dix ans plus tard, le constat est amer. «Aujourd'hui, avec le régime actuel, il n'y a rien à espérer. Le pouvoir a renié ses engagements pourtant proclamés publiquement et consignés dans un document officiel», dira Belaïd Abrika, porte-parole des archs.