Brahim Tazaghart revient sur la nécessité et l'urgence de promouvoir la langue amazighe en Algérie à travers les médias et l'université. Il vient de lancer une pétition pour la création d'un quotidien public d'information en tamazight. -Vous venez de lancer une pétition pour la création d'un quotidien public d'information en tamazight. Y a-t-il assez de journalistes qui maîtrisent la langue amazighe ? Dès la libération du champ médiatique après les événements d'Octobre 1988, des expériences diverses ont vu le jour. Nous pourrions citer les cas de l'hebdomadaire Izuran et L'Hebdo n Tmurt lancé à Béjaïa. Sans oublier l'expérience de la presse partisane comme Asalu du RCD et Amaynut du FFS. Actuellement, l'expérience de la Dépêche de Kabylie avec le supplément en tamazight chaque lundi est encourageante. Ceci dit, ces modestes expériences ont permis à des journalistes de pratiquer leur métier dans la langue amazighe. Ils n'attendent que cette occasion pour démontrer leurs compétences et les aptitudes de la langue qu'ils pratiquent. Par ailleurs, il est temps de lancer au niveau de l'Ecole supérieure du journalisme une licence en tamazight. -Allez-vous présenter ce projet au gouvernement ? Nous allons rédiger, aujourd'hui, 20 avril, une lettre portant demande de création d'un quotidien en tamazight que nous allons adresser au ministre de la Communication, au président de la République et au chef du gouvernement, sans oublier, bien sûr, la presse nationale. Cette lettre accompagnera l'appel-pétition qui est en train de circuler parmi les hommes de culture, les écrivains et les journalistes. Des journalistes à l'expérience avérée sont en train d'élaborer un projet de quotidien et une fois que nous aurons une réponse du ministère de la Communication, nous le déposerons. Ensuite, nous lancerons la pétition à grande échelle, comme nous solliciterons l'appui de tous ceux qui peuvent apporter leur contribution à l'aboutissement de ce projet qui viendra renforcer le pluralisme médiatique et linguistique afin qu'il s'enracine irréversiblement dans l'Etat et la société. Car il est temps de reprendre le chemin de la lutte politique et la construction des rapports de force nécessaires au règlement de la question amazighe. Le mouvement amazigh doit se réveiller de sa léthargie. -Vous pensez donc que les efforts consentis par les militants amazighs jusqu'à ce jour n'ont pas été fructueux ? L'intensité du rythme que la situation nationale de l'après-guerre a imposé au mouvement amazigh, des décennies durant, a fini par le dérouter. D'autant plus qu'après 1990, la violence, qui a déchiré le tissu social, a déstabilisé en profondeur le champ politique. Dans ce contexte, le mouvement amazigh n'a pas pu résister aux forces qui voulaient l'arrimer à des impératifs qui n'étaient pas nécessairement du domaine de ses objectifs. Le mouvement amazigh n'a pas su tenir ses conférences annuelles prévues dans le rapport de synthèse du deuxième séminaire de 1989, afin d'arrêter les bilans et dégager des perspectives annuelles, il n'a pas pu réaliser une évaluation du boycott de l'école de l'année scolaire 1994/1995 et gérer les retombées qui étaient énormes sur les élèves. Le mouvement a perdu, à un moment, le contrôle sur son destin. A ce niveau, je crois que les efforts des militants n'étaient pas insuffisants, mais seulement mal orientés. Tous, en effet, n'étaient pas destinés à la lutte pour tamazight d'une manière franche. Pour un grand nombre de personnes, tamazight n'était qu'un bon moyen de mobilisation des masses. A ce jour, aucun projet de promotion de tamazight n'a été élaboré. Et beaucoup sont là pour le 20 avril, et le 21, tout le monde rentre chez soi. Et à la prochaine ! -Comment promouvoir tamazight, justement ? Je pense que c'est autour de l'élaboration d'un projet pour la promotion de tamazight que nous pourrions réanimer le mouvement. C'est autour d'actions concrètes, ponctuelles, qui participent de la construction d'un environnement et d'un dispositif permettant à tamazight de se développer, que nous arriverons à faire sortir les gens de leur hésitation à entreprendre. Déconstruire les réflexes et les visions figées, reconstruire en actualisant les grilles d'analyse et de projection ! En effet, il ne suffit plus de réclamer à l'Etat la généralisation de l'enseignement de tamazight, mais il faut lui présenter des propositions concrètes, le comment faire et les moyens d'aboutir dans des délais qui ne s'étalent pas sur l'infini. Des projets alternatifs doivent être avancés afin de sortir de la réaction et de reprendre l'initiative. Tamazight est menacé dans son existence. Il ne peut survivre à l'inadvertance. La reconnaissance de son caractère de langue officielle est un besoin et une chance pour l'Algérie. Dans son discours marquant le cinquantenaire de l'indépendance, le président de la République est attendu pour annoncer sa reconnaissance prochaine. -Selon vous, après la reconnaissance de tamazight comme langue nationale en avril 2002, la cause amazighe a-t-elle été exaltée ou affaiblie ? En 2002, nous sommes arrivés à une situation burlesque. Réagissant à la reconnaissance de tamazight comme langue nationale, suite aux 126 jeunes martyrs, des ex-animateurs du mouvement n'ont pas hésité à parler de «ruse de guerre» et de «leurre». Face à ces déclarations irréfléchies et à d'autres encore qui ont cherché à anéantir toute avancée, les militants ont fini par perdre leurs repères et le mouvement dévié de sa voie. En effet, au lieu de capitaliser et de construire, le vide et l'échec ont été les seuls exhibés. Au lieu de réclamer des textes d'application, l'abrogation de l'ensemble des écrits contraires à la Constitution dans son article 3 bis comme le décret portant état civil, le décret portant arabisation de l'environnement, la loi portant généralisation exclusive de la langue arabe, les gens gaspillaient leurs efforts à vouloir disqualifier cette reconnaissance ! Or, tout esprit sain sait que cette reconnaissance, malgré les insuffisances qu'on peut lui trouver, est un acquis sur lequel nous pourrions construire la reconnaissance du caractère officiel de tamazight. Nous pourrions par exemple, à l'heure où nous sommes, pourle gouvernement en justice pour beaucoup de manquements à l'article 3 bis et au développement de tamazight comme clairement stipulé : «L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national.» Il faut observer que la Constitution protège tamazight, même si, conséquence de notre absence sur le terrain politique, elle n'a pas été intégrée comme constante nationale dans l'article 178 de la Constitution. -Ce qui résume que le gouvernement fait tout pour bloquer la promotion de la langue... Cela est dû à la véritable nature du système algérien, autoritaire et machiavélique. Je suis aussi conscient de la problématique relation entre les textes juridiques et leur application effective. Cette situation touche d'ailleurs l'ensemble des domaines, que ce soit l'économie, l'éducation, l'environnement, l'information ou la politique, elle n'est pas spécifique à tamazight. Dans une correspondance polémique avec un membre de l'Association amazighe des Etats-Unis, j'ai écrit que je refuse de lier le sort de tamazight à celui d'un système politique ou d'un gouvernement. Les systèmes changent, les gouvernements aussi, mais les langues et les cultures sont toujours là pour témoigner de l'humanité des peuples. Les gouvernements sont à l'image de la situation historique de leurs peuples. Lorsque ceux-ci sont productifs, combatifs, unis, les gouvernements plient, mais lorsqu'ils mettent du subjectif dans tout, méprisent l'effort productif et les petits projets et actions qui font la vie, une complicité s'installe entre les deux autour du vivre dans le malaise et la crise.